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bon, qui ne veut que mon bonheur, et à présent, au lieu de parler du beau temps, le seigneur Geronimo va nous dire, à son tour, comment lui est venue cette passion, qu’il m’a déclarée dans les plus jolies lettres que jamais une plume ait écrites depuis qu’on écrit des lettres.

Pendant ce discours, prononcé avec une volubilité entraînante, notre abbé, ravi par des aveux si candides, sentit l’assurance lui revenir. Sa langue se délia, et il répondit avec la même vivacité :

— Et moi aussi, divine signorina, dit-il, et moi aussi j’ai fait usage des yeux de ma raison, malgré le bandeau de l’amour dont parlent les poètes. Ce n’est pas seulement pour votre incomparable beauté, vos grâces enchanteresses et tous les trésors de votre divine personne que mon cœur s’est enflammé; c’est pour vos mérites, votre sagesse, votre esprit, vos vertus, car j’ai tout examiné, tout pesé avec soin. Je possède un coup d’œil pénétrant...

Il n’en put dire davantage, le bon Geronimo. Dès les premiers mots qu’il prononça, le visage de la belle Lidia changea soudain de couleur et passa tour à tour du rouge au blanc et du blanc au rouge. Dans la physionomie mobile de la jeune Napolitaine, le plaisir et l’effusion de la tendresse firent place au désappointement le plus complet. Bientôt ce désappointement devint comme une espèce de désespoir; Lidia, prenant sa tête dans ses deux mains, interrompit l’orateur.

Ahi ! s’écria-t-elle, il est Biscéliais!

— Sans doute, reprit Geronimo en pâlissant, je suis Biscéliais, ne le savez-vous pas, puisque vous avez pris des informations sur moi?

— Je devrais le savoir, répondit Lidia en se frappant le front à grands coups de poing. J’aurais dû penser à cela. Cagna della Madona  ! Bête que je suis! hélas! Dieu bon, il est Biscéliais! Tout tourne dans ma tête! Biscéliais, comme don Pancrace! Ah! dans quel piège suis-je tombée, sainte Vierge! Il n’y faut plus songer. Seigneur Geronimo, je vous rends votre parole. Foi d’honnête femme, je vous aimais de tout mon cœur; mais je n’avais pas entendu votre voix, et jamais je n’épouserai un jeune homme qui parle comme don Pancrace. Oh! non, cela est impossible; n’y pensons plus.

— Mais, signorina, reprit l’abbé, donnez-vous au moins le temps de me connaître mieux. Vos oreilles s’accoutumeront à mon accent, et je le perdrai peu à peu en causant avec vous.

— Le seigneur Geronimo a raison, dit le père. Ce préjugé contre les Biscéliais n’est pas raisonnable, ma fille, et tu auras le loisir d’apprendre à ton mari à prononcer purement le napolitain.

— Cela est évident, dit la tante Filippa. Refuser un jeune homme de bonne famille à cause de l’accent de Bisceglia, ce serait une folie.

— Et ma tendresse pour lui, répondit Lidia, reviendra-t-elle à mesure qu’il perdra son accent? Pouvez-vous m’assurer que la Madone fera ce miracle?