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Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/187

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car je prétends en mourant prendre les mesures nécessaires pour laisser des regrets à l’injuste Lidia.

— L’expédient que je vous fournirai, reprit le docteur, est infaillible. Ce n’est point dans saint Augustin, ni saint Chrysostôme, ni saint Ambroise que nous le puiserons. Ces vieux pères de l’église manquaient de souplesse dans l’esprit. Les casuistes espagnols sont gens de ressource, et nous irons à eux. Or, ils disent qu’en certains cas il est permis de hâter une mort certaine et douloureuse pour en abréger les tourmens; ils établissent en outre une importante nuance entre se tuer et se laisser mourir. Si donc vous sentez que votre douleur est sans remède, et qu’elle vous consumera tôt ou tard, vous êtes sans reproche en courant plus vite au terme de vos maux : il ne faut user ni du fer, ni de l’eau, ni du feu, ni du poison; mais il n’est point défendu de se faire saigner par un chirurgien. Ce n’est pas un crime que de dénouer ensuite sa ligature, comme un petit accident le pourrait faire, et votre sang, qui se répandra de lui-même, sans que vous ayez tourné aucune arme contre tous, entraînera votre ame innocente, qui s’envolera naturellement aux deux. Une offrande pieuse et considérable à l’église témoignera que vous n’avez nul dessein criminel ou impie, et pour cent piastres à colonnes seulement, je me charge de vous procurer un confesseur et l’absolution. Vous lui remettrez la somme d’avance, et vous serez libre ensuite de choisir l’heure et le lieu de façon à pénétrer votre ingrate d’un repentir déchirant pour le reste de ses jours.

— Cet expédient me paraît admirable, dit l’abbé : tout y est prévu; je ne vois point par quel endroit il pourrait pécher. Acceptez cette piastre à titre d’honoraires, mon cher docteur, et, quand j’aurai fixé l’instant de ma mort, je suivrai scrupuleusement vos avis.

Tout simple qu’il était, le bon Geronimo avait sa petite part d’astuce; tous les Italiens sont nés diplomates. En ruminant son cas de conscience, il se demanda de quelle utilité lui serait un intermédiaire comme Jean Fabro, et si le premier confesseur venu refuserait jamais une absolution au prix énorme de cent piastres fortes. Il y avait d’ailleurs imprudence à donner d’avance une si grosse somme : le désespoir peut s’amender au moment suprême ; on a vu des gens résolus à mourir se manquer et revenir à la vie. La madone ne rendrait pas l’argent une fois payé. Le plus sage était donc de laisser les cent piastres à l’église par testament, d’exécuter ensuite le fatal projet, et d’appeler un confesseur avant de franchir le dernier pas. Ce fut à ce dessein mûrement pesé que s’arrêta le pauvre abbé. Quelques jours de délai lui donnèrent la certitude qu’il ne pouvait vivre sans sa Lidia. Un matin, il se fit saigner au bras gauche par son barbier, en prétextant des maux de tête, et, après avoir déposé son testament en main sûre, il se rendit