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Nous aimerions cependant à penser que ce ne sont point les raisons révolutionnaires et radicales présentées par M. de Larochejaquelein, qui ont entraîné la majorité.

Ce serait amasser trop de repentirs que de s’habituer à fouler sans plus d’égards la souveraineté des tribunaux sous l’omnipotence du parlement. La justice n’est pas seulement un pouvoir politique, c’est un pouvoir social. On a trop fait mine de l’oublier dans la chaleur de l’antagonisme qu’on ressuscitait. On s’est récrié contre M. de Belleyme envoyant mal à propos sans doute un débiteur inviolable à Clichy, comme s’il se fût agi d’un dictateur envoyant à Vincennes quelque inviolable tribun. Pour donner l’idée du diapason auquel on s’était monté, c’est assez de dire que M. Baze avait été choisi comme exécuteur des hautes volontés parlementaires. C’est M. Baze qui a sollicité, qui a obtenu l’honneur d’aller briser séance tenante les écrous de la justice, et c’est en conquérant qu’il s’est acquitté de sa commission. M. Baze est nouveau dans la vie politique ; il suit avec ardeur les chefs qu’il se donne, avec trop d’ardeur, car il ne s’aperçoit pas toujours à temps qu’ils ont cessé d’aller là où il va toujours. Cela se voit pourtant dans les armées parlementaires. La tête de colonne indique les mouvemens et change de front à sa guise ; mais le changement s’opère si souvent et si vite, que quelquefois il n’arrive pas en temps utile jusqu’à la queue qui a l’ennui de faire fausse route. Les plus accommodans rattrapent la marche comme ils peuvent ; les plus fiers, dépités de ce qu’on n’a pas pris leur avis sur la contremarche, persistent d’autant plus à s’aventurer tout seuls, et se vengent ainsi de n’avoir pas saisi le contre-ordre. C’est ce qu’on dit de M. Baze : il est furieux de s’être trompé. Voilà pourquoi sans doute il menaçait le directeur de la Dette de venir enfoncer sa porte avec l’armée de Paris.

Le lendemain de cet exploit, le bureau, à la majorité de huit voix sur six, a déclaré que la révocation de M. Yon ne serait point accordée à M. Baroche. Les six membres de la minorité voulurent d’abord se retirer, pour mettre l’assemblée tout entière en demeure de se prononcer ; la réunion de la place des Pyramides ayant délibéré sur cette conjoncture épineuse, il a été décidé que cette fraction si considérable du parlement s’abstiendrait de provoquer un débat qui ne peut tourner au profit d’aucune opinion conservatrice et libérale. À quoi donc enfin voudrait-on en venir ? Quel avantage aurait-on à pousser à outrance une lutte qu’on a soi-même ouverte avec affectation ? Pourquoi la chercher si bien de son côté qu’on ne puisse plus l’éviter de l’autre ? Encore une fois, nous avons autant que personne le goût de la prérogative parlementaire ; nous avons toujours soutenu le droit des institutions libres. Ce sont à nos yeux aussi de sottes gens, ceux qui croient anoblir leurs allures bourgeoises ou guinder très haut leur esprit vulgaire en déblatérant contre le gouvernement de la phrase ou en soupirant après le gouvernement des hommes forts ; mais n’est-ce pas leur fournir des prétextes trop commodes que d’engager l’honneur de la prérogative sur des misères aussi triviales que celles qui sont devenues les grandes affaires de la quinzaine ? Il n’y a pas, dit-on, de petites questions, quand il s’agit de sauvegarder l’indépendance parlementaire. Oui, mais est-il sensé de porter à toute extrémité des exigences, même constitutionnelles, quand la constitution est ainsi faite que, si chaque pouvoir veut de son côté se pousser à bout, il n’y a plus de recours pour l’un comme pour l’autre que dans une