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déboucher hors de la forêt sur le terrain découvert qui entoure Moor, lorsque quelques coups de canon retentirent à l’avant-garde ; le ban courut à la tête de la colonne et arrêta la marche. Devant nous, sur les hauteurs qui nous cachaient Moor, quatre bataillons de honveds formaient leurs rangs en poussant de grands cris, et une batterie de canons tirait à toute volée, enfilant la route sous son feu. À droite et à gauche de la route, une lisière de champs labourés nous séparait des dernières pentes de la forêt, couvertes d’arbres clair-semés. Le ban n’avait avec lui que la brigade Gramont : il envoya aussitôt à la brigade de cavalerie du général Ottinger, qui marchait à une demi-heure de distance derrière nous, l’ordre de s’avancer ; il fit en même temps déployer dans les champs la brigade Gramont, et fit occuper par un bataillon de chasseurs la lisière de la forêt. Six pièces de canon, dirigées à la fois de ce côté, commencèrent à répondre au feu de l’ennemi. Le général Ottinger arriva bientôt à la tête de sa brigade ; il se fit suivre d’une division de Wallmoden-cuirassiers et courut en avant, malgré le feu de l’ennemi, jusqu’à une hauteur d’où l’on découvrait au loin les pentes qui s’étendaient à droite de la route. Plusieurs bataillons de honveds se retiraient en désordre. « Ils sont à nous ! ils sont à nous ! crie Ottinger, mais il faut d’abord enlever cette batterie. — Comment faut-il attaquer ? lui demandai-je. — En débandade, » répondit-il. Je cours alors à la division de cuirassiers laissée en arrière, et, ne trouvant pas le lieutenant-colonel au milieu de la confusion inévitable dans une troupe qui marche à travers bois et franchit des ravins glacés sous le feu de l’ennemi, je crie aux soldats de me suivre, puis je pars à leur tête. Mon cheval volait comme l’éclair, les boulets sifflaient ; à cent pas des pièces, deux dernières décharges de mitraille passèrent au-dessus de nous ; j’arrivai sur les canons et je sabrai les artilleurs. Une des pièces, déjà remise sur ses roues, allait nous échapper ; je cours aux soldats du train, je frappe l’un d’eux pour le forcer à arrêter ses chevaux ; tout à coup je vois devant moi un demi-escadron de hussards hongrois ; l’officier, suivi de son trompette, s’élance sur moi le sabre haut. Je le perce d’un coup de pointe et retire la lame tordue et mouillée de sang. Les hussards m’entourent, me pressent, me prennent les bras, me serrent le cou ; je les frappe encore au visage avec le pommeau de mon sabre. Les coups tombent sur ma tête et mes épaules. Par un effort désespéré, je pousse mon vigoureux cheval ; il s’élance en avant et m’arrache des mains des hussards. Je portai alors les deux mains à ma tête ; les os du crâne étaient entaillés. J’essuyai le sang qui me coulait dans les yeux et regardai le combat : les cuirassiers qui m’avaient suivi emmenaient les pièces que nous venions de prendre ; trois canons étaient parvenus à s’échapper ; le reste de la division, arrivant en ce moment, se lança à leur poursuite. Sept ou huit