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Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/256

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Le chef du conseil me demanda en me tendant le papier roulé pris sur Gerberich : « Avez-vous écrit ceci ? — Oui, » lui dis-je. Il me fit pour la forme les questions d’usage que prescrit la règle du code militaire, puis le prévôt me conduisit dans une autre salle ; mes quatre compagnons étaient là. J’allai à eux et leur serrai fortement les mains, en cherchant à comprimer mon émotion. Kussmaneck était calme ; ses traits, fatigués par l’âge, ne témoignaient qu’indifférence et résignation ; Kraue était tranquille, son regard n’avait rien perdu de son audace, ses lèvres souriaient avec dédain ; Braunstein seul paraissait fortement ému ; il était jeune et beau, quelques grosses larmes roulaient sur ses joues. Il leva sur moi ses grands yeux bleus et me dit : « Je pleure sur ma femme et mes pauvres petits enfans. — Courage ! courage ! Braunstein, l’empereur en aura soin, » lui répondis-je d’une voix que je m’efforçais encore de maintenir ferme, sentant son émotion me gagner. Gerberich me causa une profonde pitié ; il était le plus jeune. Poussé par son attachement pour la cause impériale, il était venu partager nos dangers, et maintenant il allait mourir. Il était là, appuyé à la muraille ; la fièvre de la mort faisait claquer ses dents et frissonner tout son corps.

Cependant les officiers hongrois délibéraient ; un d’entre eux traversa la salle en tenant un papier à la main. J’avais assisté plusieurs fois à des conseils de guerre, je savais que ce papier était la sentence qu’il portait à signer au commandant de la forteresse. Au bout de quelques minutes, le prévôt me plaça, ainsi que mes compagnons, entre une douzaine de soldats pour nous reconduire dans nos prisons en attendant l’exécution. Je marchais le premier ; j’entendais répéter autour de moi le mot erschossen (fusillé) ; je vis sur un balcon deux hommes et une jeune femme ; quand je passai, les hommes soulevèrent un peu leurs chapeaux, et la jeune femme avança la main dans laquelle elle tenait un mouchoir comme pour me faire un signe d’encouragement ; c’était sans doute une famille attachée à la cause impériale. Je levai la tête et les regardai en souriant pour leur dire que je ne faiblirais pas et ferais honneur à notre cause. J’entrai dans ma casemate ; la porte, gardée par deux soldats, restait ouverte, et je voyais de loin, dans la chambre où avait logé kussmaneck, sa femme et sa fille qui pleuraient et criaient en poussant de douloureux gémissemens ; il me semble encore les entendre : « Mon père ! mon père ! » criait cette pauvre fille d’une voix forte comme pour l’appeler ; elle se tordait les bras au-dessus de la tête ; puis, épuisée et tremblante, elle allait s’appuyer le front contre la muraille. Je la plaignis ; puis ces cris et ces plaintes m’irritèrent : ils me forçaient à penser à ma mère et à son chagrin, et je me sentais faiblir. J’avais conservé une bague sur laquelle était monté un petit diamant ; je la tirai de mon doigt et j’écrivis