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sans aigreur. La tante Filippa, qui le protégeait, vint à son secours, et Lidia le complimenta de son bon caractère.

La position de Geronimo était déjà meilleure après cette visite. Malheureusement, il commit tout de suite une faute. Au lieu de soutenir son rôle d’amoureux modeste et de causeur sans prétention, il voulut combattre ses rivaux avec leurs armes, hormis pourtant le Calabrais, qu’il laissa prudemment de côté. Il appela son tailleur et lui commanda un habit d’une coupe romantique de son invention. Une chaîne d’un mètre circula, comme un serpent, autour de sa cravate et sur son gilet. Un paquet de breloques pendit à sa ceinture. Quoiqu’il eût la vue excellente, il ne regarda plus qu’avec un lorgnon d’or, et la pomme de sa canne fut ornée d’un lapis gros comme le poing. Ces emplettes coûtaient cher. Il s’endetta pour les payer, et, quand il se présenta dans cet équipage de petit-maître, Lidia se mit à rire de si bon cœur, qu’il en perdit la tramontane. L’habit, qu’il croyait d’une élégance irréprochable, excita surtout la gaieté de la compagnie entière. Pour comble de disgrâce, le Calabrais poussa le sarcasme jusqu’à la grossièreté, sans que Geronimo osât répondre à ses injures, en sorte que le pauvre abbé se retira doublement mortifié.

Ce fut le hasard plutôt que le bien jouer qui releva notre amoureux de cet échec. Un samedi matin, les deux dandies arrivèrent à Saint-Jean-Teduccio avec une loge pour le théâtre de San-Carlino. Ils n’avaient point encore vu les affiches de spectacle ; mais ils ne doutaient pas que la pièce nouvelle qu’on donne chaque samedi soir sur ce petit théâtre ne contînt le rôle obligé du Pancrace biscéliais. L’un des deux élégans tira de sa poche la clé de la loge pour la remettre à Lidia, en faisant sonner bien haut les douze carlins que lui coûtait cette galanterie, et il exprima le désir que le seigneur Geronimo fût de la partie. L’abbé entra précisément comme on parlait de lui.

— Nous allons ce soir à San-Carlino, lui dit la jeune veuve étourdiment, et je vous offre une place. Vous comparerez le biscéliais au napolitain ; ce sera une excellente leçon.

— C’est-à-dire, répondit Geronimo, que vous voulez me comparer à don Pancrace. Puisque cela vous amuse, je n’ai garde de vous refuser ce plaisir. J’irai à San-Carlino, et nous verrons à quel point je ressemble à un vieux bouffon.

Malgré son heureux caractère, l’abbé ne put dissimuler son dépit en songeant au ridicule dont il était menacé. Pour adoucir son chagrin, Lidia le retint à dîner. Elle lui servit de sa belle main tant de ravioli, de lazagni et de tranches de veau à l’humide, qu’il se sentit plein de patience et de gaieté en sortant de table. Un fiacre envoyé de Naples vint chercher la compagnie à l’heure de l’Angélus, et Geronimo partit avec dame Filippa et sa nièce. Lorsque le carrosse entra dans la ville,