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Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/352

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formelle, obstinée de Soulouque contre l’homme qui représentait à ses yeux la civilisation française n’était qu’une conséquence détournée, mais logique, du sentiment qui l’avait fait céder deux fois. C’était vers la fin d’août ; on connaissait donc déjà dans les Antilles tous les détails de ce mélodrame européen en cent vingt journées, sur lequel la victoire de juin venait de baisser la toile. Soulouque, qui se faisait lire avidement les journaux de France et des États-Unis, s’extasiait, comme naguère au sujet de Santana, sur les preuves de caractère que démocrates et réactionnaires donnaient de Madrid à Berlin, et, par cela seul que le chef noir se pique d’emprunter à l’Europe civilisée ses idées et ses habits, on comprend quel nouveau tour en avaient reçu ses dispositions. M. Raybaud essayant de lui imposer la clémence, c’est-à-dire une mode de l’an passé, était évidemment quelque peu suspect à ses yeux ; blanc pas connaît ayen passé moqué nègue[1]. Et qu’on ne voie pas là une oiseuse et triste plaisanterie lancée gratuitement à travers ces scènes de deuil. Cette déférence instinctive, presque automatique, pour les lois et les convenances de la civilisation étant, selon nous, l’une des ressources suprêmes qu’offre le caractère de Soulouque, la seule qui permette de ne pas désespérer de ce complexe personnage, à la fois tigre et enfant, nous tenions à la constater, même dans les déportemens de cruauté d’où elle paraît le plus absente. Soulouque eut même, à la suite de cette entrevue, comme un dernier bon mouvement dont il faut lui tenir compte. On raconte que, pour pallier la fâcheuse impression que ses emportemens avaient pu laisser dans l’esprit du consul, il fit écrire à celui-ci, dans la journée, qu’il lui en coûtait infiniment de refuser la grace de Desmarêt et de ses trois compagnons, et qu’il serait charmé de le lui prouver en d’autres circonstances. Disons en passant que le président dégagea sa parole. Quelques semaines après, un général dominicain, quelques officiers et une vingtaine de soldats furent faits prisonniers, et, craignant d’être sacrifiés, ils implorèrent l’intervention du consul-général. M. Raybaud, qui s’efforçait, aussi bien que notre agent à Santo-Domingo, M. Place, de dépouiller de son caractère de férocité la guerre que se faisaient les deux petites républiques, fit comprendre au président qu’il serait politique à lui de saisir cette occasion d’atténuer les impressions défavorables que les Dominicains avaient nécessairement conçues sur son compte depuis les sanglantes scènes d’avril. Bien qu’il entrât en fureur au seul nom de ceux qu’il appelle les mulâtres rebelles de l’est, Soulouque, et c’est là ce qui dénote encore chez lui une certaine aptitude gouvernementale, Soulouque n’hésita pas à en convenir. Il ne fit pas les choses à demi, et, non content de renvoyer les prisonniers, il les habilla de neuf.

  1. Les blancs ne savent que se moquer des nègres.