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à peine écoulée, que M. Salomon eût pu inscrire sur la porte de son édifice économique : Vente à soixante-cinq pour cent de rabais pour cause de liquidation générale et définitive. Je n’exagère pas : les prix du monopole n’étaient tolérables qu’au taux de 110 gourdes au doublon, et sous l’influence de ces monstruosités, qui n’étaient du reste que la conséquence très pratique, très logique, très rigoureuse du principe socialiste posé par M. Salomon, le cours du doublon s’était graduellement élevé jusqu’à 282, lorsque, au fort même de l’émigration, des arrestations, des exécutions, il n’avait pas dépassé 185. Inutile d’ajouter que les cultivateurs, obligés de livrer leur café à raison de 9 ou 10 centimes la livre, cessèrent pour la plupart de récolter. Je n’ai pas besoin de dire non plus ce que devenaient les dernières recettes du trésor sous l’empire d’une situation où tout était fatalement combiné pour tarir à la fois les ressources du dehors et les ressources du dedans. À l’heure qu’il est, sa majesté Faustin Ier, dont nous aurons à raconter bientôt les splendeurs monarchiques, serait probablement réduit à se vêtir d’une feuille de latanier et à dîner de son ministre des finances, si celui-ci, secouru d’un beau désespoir, n’avait ramené son pays et son empereur au modeste régime de l’économie politique bourgeoise[1].

Au moment de décréter cette expérience socialiste, Soulouque avait daigné se souvenir qu’il y avait des chambres pour enregistrer les lois, et les chambres, naguère si bavardes, étaient venues sanctionner, par un vote aussi muet qu’unanime, les fantaisies de M. Salomon. Soulouque avait, selon l’usage, ouvert la session en personne, et, si blasé qu’on fût sur ces sortes d’émotions, un frisson involontaire circula sur tous les bancs, lorsqu’on remarqua dans le cortége présidentiel ce Voltaire Castor qui avait poignardé de sa main soixante et dix des prisonniers garrottés de Cavaillon. Son excellence annonça au parlement que, les pervers étant à peu près vaincus, Haïti allait parvenir enfin à ce degré de grandeur et de prospérité que la divine Providence lui réserve. Le chœur de vivats qui accueillit l’allocution du président fut moins nourri que d’habitude, mais par une raison toute simple : le tiers des sénateurs et une partie des représentans étaient absens pour cause de proscription ou de mort. Pour bien prouver que ce n’était, Dieu merci, de sa part, ni mécontentement ni froideur, la chambre des représentans remerciait avec chaleur, deux jours après (Moniteur haïtien du 2 décembre 1848), le président d’avoir sauvé la patrie et la constitution. Il n’y avait pas une seule page de cette constitution qui n’eût servi de bourre aux fusils devant lesquels venaient de tomber par douzaines députés et sénateurs. À l’une des séances suivantes,

  1. Le monopole fut aboli au commencement de 1850. Dès la première dérogation à ce système, le doublon descendit de 282 gourdes à 144, et le café, que les cultivateurs étaient obligés de vendre à raison de 10 francs le quintal, monta jusqu’à 35 et même 40 francs.