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Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/364

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(sorte de luzerne) ? Le lendemain de mon arrivée à Vittor, je perdis quelques heures à flâner dans la campagne, comme si je n’avais de ma vie rencontré des raisins et des olives : le souvenir des sables de la veille et la désagréable perspective d’avoir à recommencer la même promenade me faisaient reculer devant la seule idée d’enfourcher ma mule ; mais l’arriero jurait et se désolait, il fallut reprendre notre route en plein désert.

Déjà pourtant l’on distinguait clairement le volcan d’Aréquipa, au pied duquel est bâtie la ville que j’allais chercher ; les mules couraient pour regagner leur écurie, nous avions tous bon courage, et nous fîmes notre traite de quatorze heures sans débrider. La nuit était venue, que nous n’étions pas encore sortis de cette interminable steppe. Cependant des lumières à peu de distance et des aboiemens de chiens nous annoncèrent le voisinage d’Aréquipa, et nous traversâmes les faubourgs et le grand pont au milieu des tourbillons de poussière que soulevait le trot menu de nos mules. J’étais attendu par un de nos compatriotes, chez lequel je trouvai une comfortable hospitalité. J’en avais grand besoin.

J’étais impatient de savoir quelle tournure pouvait avoir la première grande ville péruvienne que je rencontrais. Le jour à peine venu, je m’installai sur le balcon de mon appartement ; la rue était encombrée par une caravane de llamas suivis de leurs conducteurs indiens. Amour du pittoresque à part, le llama est la plus belle façon de daims laineux que je connaisse ; son col est gracieusement courbé sans être bossu comme celui du chameau ; il porte la tête haute et en arrière ; ses yeux sont d’une douceur admirable, ses reins sont droits, ses jambes sèches et fines. La caravane arrivait de la sierra, apportant du charbon de bois. Chaque llama est chargé de deux petits sacs pesant ensemble de soixante à cent livres. Le llama, dans ce pays, est d’une extrême utilité ; il passe là où les mules ne pourraient passer, et il broute, tout en marchant, les herbes rares et les tiges desséchées des arbustes qu’il rencontre sur son chemin. Ayant, comme le chameau, une poche dans l’estomac, il peut rester plusieurs jours sans boire ni manger, privation à laquelle il est exposé chaque fois qu’il quitte les montagnes pour les déserts sablonneux de la côte. Le llama est patient, lent et obstiné. Quand on le charge outre mesure, il se couche à terre, et, malgré des coups redoublés, ne se relève que lorsque le fardeau est enlevé. On dit dans le pays que le llama est fait pour l’Indien, et l’Indien pour le llama.

La caravane s’avançait lentement, poussée par ses pacifiques conducteurs, deux Indiens avec leurs femmes portant sur le dos un enfant enveloppé dans un poncho. C’étaient les premiers Indiens que je voyais avec mes yeux d’Européen nouveau débarqué, et les traits qui