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des secours et n’ont-ils point tendu des piéges ? Je répète que le Moniteur répond depuis deux ans à cette question plus éloquemment qu’aucun apologiste ; mais j’ajoute que, si quelque chose peut être plus péremptoire que le Moniteur, ce sont les mouvemens imprévus, les actes improvisés, les inspirations soudaines au milieu de tant de crises diverses. Eh bien ! c’est dans ces crises tant de fois renaissantes, où la patience pouvait se lasser, où la meilleure foi pouvait se dédire, c’est là que les hommes de parti devaient se révéler ; c’est là qu’ils pouvaient se laisser aller à la tentation de prendre congé de compagnons qui les contraignaient à côtoyer avec eux des chemins si bordés de précipices, et c’est le contraire qu’on a vu. Les convictions les mieux enracinées conduisaient les monarchistes à penser que l’anarchie était le terme fatal, le châtiment inévitable des témérités du genre de celles qu’on tenait d’entreprendre : eh bien ! chaque fois que l’émeute se présentait pour leur donner raison, ils lui barraient le passage et serraient leurs rangs derrière la bannière commune. L’anarchie pouvait être le péril de quelques instans ; mais c’était le triomphe certain de leurs opinions, de leurs passions, puisqu’on leur en suppose de si opiniâtres. « Je vous l’avais bien dit ! » Quelle jouissance pour l’égoïsme ! Qui a laissé échapper ce détestable mot ? Où a-t-on surpris cet odieux sourire, lorsque la patrie était en deuil ?

Prenons la république au 4 mai seulement, premier jour de l’assemblée constituante. Omettons ce mois de mars et ce mois d’avril où le général Changarnier résumait en lui seul cette générosité d’élan et rencontrait aussi déjà cette ingratitude rapide qui allaient toutes deux se reproduire en variétés infinies sur le théâtre parlementaire.

J’arrivai à la constituante bien convaincu, comme les deux tiers de mes collègues au moins, que le gouvernement provisoire avait préparé les premiers rudimens de la constitution future, et qu’une assemblée de neuf cents membres si parfaitement inconnus les uns aux autres ne serait pas lancée en plein océan législatif sans pilote, sans boussole et sans gouvernail. Tel fut cependant l’accueil qu’on nous réservait. La France le sait ; mais elle croit peut-être que c’était par scrupule constitutionnel et par déférence pour l’initiative de l’assemblée. Hélas ! on n’avait rien préparé : d’abord parce qu’on n’avait pu s’entendre sur rien, ensuite parce qu’on y avait très peu songé.

Un ami de Sieyès, le rencontrant au sortir des plus mauvais jours de la révolution, lui demandait avec sollicitude : « Qu’avez-vous fait pendant ce temps ? — Ah ! répondit Sieyès, j’ai vécu. » C’était aussi tout ce qu’avaient pu faire M. de Lamartine à côté de M. Ledru-Rollin. M. Ledru-Rollin à côté de M. Louis Blanc ; c’est tout ce qu’ils auraient pu répondre à l’assemblée ébahie, qui leur demandait avec empressement un fil conducteur, une inspiration quelconque. Je me souviendrai toujours du profond étonnement qu’emportèrent du salon de