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promet pas clairement ce que je désire, et qui pourrait involontairement me livrer à ce que je redoute ; je refuse mes voix au général Cavaignac. Je les donne au prince Louis Bonaparte, d’abord parce que c’est un prince, parce qu’il me replacera aux yeux de l’Europe au-delà de l’ancienne Hollande et au-dessus de la Suisse actuelle, parce qu’étant plus haut placé, il aura besoin d’une base plus large, parce que, tenant beaucoup de son origine, il devra tenir un peu moins des coteries et ne fera pas de l’administration publique la rançon de son pouvoir. Je lui donne ma voix, parce je n’ai pas encore le courage de la monarchie, et que je n’ai plus le goût de la république.

On a beaucoup disserté sur l’élection du 10 décembre et sur sa signification ; pour moi, la voilà dans sa rigoureuse simplicité : trois négations et la moitié d’une affirmation, — tout cela, rien que cela.

Jusqu’à quel point le président et ses différens ministères ont-ils marché dans cette voie ? jusqu’à quel point la seconde assemblée les y a-t-elle secondés et suivis ? Jusqu’à quel point le pays a-t-il repris son travail latent, sa marche souterraine en dehors des directions officielles ? Ce devrait être là le sujet d’une seconde étude, si l’on voulait compléter cette esquisse du petit coin d’un grand tableau.

Quant à cette première phase, si pleine de tragédies sanglantes, de péripéties inattendues, écoulée du 24 février au 10 décembre, elle a suffi pour voir naître, grandir et s’éteindre l’utopie des républicains spéculatifs : les uns l’ont tuée, les autres l’ont laissée mourir. Les monarchistes l’ont sincèrement défendue ; ils lui conservent seuls aujourd’hui les apparences de la vie. Depuis le 10 décembre, MM. Marrast, Goudchaux, Sénard, Martin de Strasbourg, Bastide, ont disparu du théâtre politique, et avec eux l’idée républicaine modérée. Ce sont les socialistes qui ont pris partout le rang et le titre, toujours exclusif, de républicains ; les hommes monarchiques qui ont long-temps marché avec les premiers luttent désormais contre les seconds, mais peuvent-ils conserver encore les positions anciennes ? Peuvent-ils demeurer sur une brèche incessamment ouverte, incessamment, assaillie, sans drapeau, sans unité, sans doctrines qui leur soient propres ? Ces questions ne sont plus de la compétence d’un simple narrateur. De quelque façon qu’elles soient introduites, il importe que la question de bonne foi soit avant tout dégagée ; chacun doit s’y employer comme aux préliminaires indispensables de toute solution pacifique. On peut toujours se réconcilier avec la contradiction : à quoi sert de traiter avec des trompeurs, et voudrait-on se rapprocher des traîtres ? Si la république appartient à qui l’a défendue, tout le monde peut en disposer à titre égal et même à meilleur droit que ceux qui l’ont fondée.

La république, telle que le suffrage le plus illimité l’a voulue et l’a faite, la république n’a jamais été attaquée que par des républicains