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Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/536

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dans ses mains avec une attention soupçonneuse un baromètre qu’on leur avait saisi, ajoutant qu’on ne porte pas pour rien du vif-argent dans un tube de verre, et que ce vif-argent était la preuve matérielle que ces messieurs venaient rechercher des trésors enfouis. Je ne réponds pas que monseigneur le duc des Cayes n’ait fait opérer pour son compte des fouilles à l’endroit suspect.

Un peu plus tard, les commandans de deux bâtimens de guerre espagnols en relâche dans la baie des Flamands s’étant aventurés à terre, certain général, qui, par une double antiphrase, s’appelle M. de Ladouceur, comte de l’Asile, les appréhenda au corps, et il fallut que l’un des commandans restât en otage. Pendant que M. Raybaud et notre agent consulaire aux Cayes[1] négociaient la réparation due au pavillon espagnol, et qui, disons-le, fut aussi éclatante que possible, l’équipage d’un troisième bâtiment de même nation, qui venait faire des vivres à l’Arcahaye, fut reçu, à sa descente à terre, avec des dispositions tellement hostiles, qu’il dut regagner la mer en laissant prisonnier l’enseigne qui le commandait. Le capitaine descendit le lendemain seul à terre, et se fit conduire chez le général commandant la subdivision, auprès de qui il revendiqua énergiquement le respect dû aux marins espagnols. À ce mot d’Espagnols, le général, partagé entre la colère et la stupeur, ne parlait de rien moins que de faire fusiller sur l’heure l’audacieux rebelle. Ce quiproquo, qui aurait pu sortir des limites de la comédie, s’éclaircit à la fin. Le capitaine prouva par toutes sortes de témoignages irrécusables qu’il y avait au monde, et même dans un voisinage assez rapproché d’Haïti (Cuba et Puerto-Rico), des Espagnols autres que ceux de la partie dominicaine. Le général fut ébranlé, mais non convaincu, et, pour dégager sa responsabilité, il expédia l’enseigne à Port-au-Prince, où celui-ci arriva à pied, escorté comme un malfaiteur, et après avoir été injurié, sur toute la route, des noms de pirate et d’espion. À Port-au-Prince, le fait de l’existence de l’Espagne fut facilement admis, et une troisième réparation s’ajouta aux deux réparations demandées.

À chaque mauvaise affaire de ce genre que les ex-piquets lui jettent sur les bras, Soulouque se montre, selon la circonstance, contrarié, irrité, consterné. Le grief bien établi, il s’empresse de le reconnaître ; il fait au besoin arrêter les agens subalternes de ce système d’extorsions et d’outrages, il force même, dans les cas graves, les principaux

  1. L’Espagne n’a pas de consul dans l’état d’Haïti, qu’elle n’a pas reconnu.