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dis-je ? même devant les prénoms : au lieu d’écrire, par exemple, M. le baron Louis de Léveillé, on écrit le baron de Louis Léveillé. Quand on prend de la particule, on n’en saurait trop prendre.

Les quatre princes de l’empire portent le titre d’altesse sérénissime. À leur tête figure monseigneur de Louis Pierrot, en d’autres termes l’ex-président Pierrot, qui, relégué depuis sa chute dans l’intérieur, ne s’attendait pas à pareille fête. Monseigneur de Louis Pierrot ne porte, par exception, aucun titre territorial ; il est le prince par excellence. Ses trois collègues sont les généraux Lazarre et Souffrant, et monseigneur de Bobo. C’était Bobo qui, le premier, avait décerné à Soulouque le titre d’illustre grand souverain. Une attention si délicate en valait une autre, et sa majesté l’a nommé prince du Cap-haïtien, ville pour laquelle monseigneur de Bobo avait en effet une vieille passion. Il l’aimait tant cette ville, qu’il avait failli l’emporter en détail dans ses poches. Ce misérable se trouvait détenu, au moment de la chute de Boyer, pour pillage et autres atrocités commises à la suite du tremblement de terre qui renversa le Cap.

Chaque duc s’appelle sa grace monseigneur de N… L’excellence appartient aux comtes, et les barons sont désignés tout uniment par monsieur. Il y a résurrection des ducs de Marmelade et de Limonade. La nomination de celui-ci dérida les fronts les plus soucieux, car, en fait de limonade, il n’avait jamais connu que le tafia. Monseigneur de Limonade, ayant été en outre nommé grand-panetier, errait de porte en porte comme une ame en peine, demandant vainement quelle était la nature de ses fonctions. En désespoir de cause, sa grace s’adressa à l’empereur, qui, n’en sachant rien lui-même, se contenta de répondre « C’est quelque chose de bon. » Il y a un duc du Trou et un duc du Trou-Bonbon, un comte de la Seringue, un comte de Grand-Gosier, un comte de Coupe-Haleine et un comte de Numéro-Deux[1]. Comme sous Christophe, ces sortes de désignations ont la géographie pour excuse. Quelques barons portent des noms à coucher dehors, tels que le baron de Arlequin, le baron de Gilles Azor, le baron de Poutoute, ou des noms galans tels que le baron de Paul Cupidon, le baron de Jolicœur, le baron de Jean Linder, le baron de Mésamour Bobo.

Quelques-uns de ces dignitaires ont été au bagne, d’autres devraient y être : on n’est pas parfait. Le piquet Jean Denis, par exemple, ai été nommé duc d’Aquin, principal théâtre de ses pillages ; l’exécuteur des hautes œuvres des piquets, Voltaire Castor, est devenu son excellence M. de Voltaire Castor, comte de l’Île-à-Vache. Çà et là apparaissent au contraire quelques ducs, quelques comtes, quelques

  1. Voyez le Moniteur haïtien.