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Il, est vrai que la facilité avec laquelle l’Autriche remue maintenant ses troupes peut donner beaucoup à réfléchir. L’Autriche dans tous les derniers événemens, a tiré parti de ses chemins de fer pour concentrer des masses d’hommes sur un point donné avec une rapidité dont l’histoire de la guerre n’offrait point encore d’exemple. Ainsi les troupes quittent l’Italie par le railway de Vérone à Venise ; des vapeurs les portent en quelques heures à Trieste, d’où elles marchent jusqu’à Laybach ; les wagons les mènent à Murzzuschlag, elles passent là le Semering à pied, et, reprenant le chemin de fer à Gloggnitz, elles sont à Vienne quarante heures après leur départ de Laybach ; vingt heures après encore, le railway septentrional les met sur la frontière de Prusse. Quand le chemin de fer ira sans interruption de Vienne à Trieste, c’est-à-dire dans deux ans, il ne faudra que trois jours pour amener une armée des frontières de l’Italie sur celles de la Prusse. Le chemin de fer qui vient d’être livré à la circulation de Szolnok à Pesth et de Pesth à Vienne a permis aux troupes d’aller droit de Hongrie en Bohême ; d’autres, par le chemin de fer de Vienne à Prague et à Aussig, ont été en trois jours du centre de la Hongrie aux limites de la Saxe. Les bateaux à vapeur qui remontent le Danube peuvent aussi être employés, comme ils l’ont été dans la dernière guerre, à mener les troupes du voisinage de la Turquie jusqu’au chemin de fer de Pesth.

Grace à de si puissans moyens de circulation, l’on a vu l’Autriche jeter, pour ainsi dire, sur le seuil même de la Prusse, avec une rapidité foudroyante, cent quatre-vingt mille hommes complètement équipés et de l’artillerie en proportion. Les généraux prussiens ne supposaient devant eux que cent vingt mille hommes ; cette facilité inattendue des transports avait déjoué leurs calculs. Ne l’oublions pas ici, pour peu que nous soyons encore capables de penser à autre chose qu’à nos malheureuses discordes : voilà comme les grandes, puissances ont préparé sans bruit le déploiement de leurs ressources militaires ! Pendant que l’Autriche fait, en un clin d’œil, mouvoir ses soldats à travers les Alpes, les Karpathes, le Danube et les Monts-Géans, comptons un peu le temps qu’il nous faudrait encore pour avoir les nôtres de Brest à Strasbourg, de Perpignan ou de Marseille à Paris !

ALEXANDRE THOMAS.


REVUE LITTERAIRE.
L’HISTOIRE ET LE ROMAN.

Entre la littérature et la société il y a en ce moment un singulier désaccord. Sans confiance dans le présent, inquiète de l’avenir, notre société cherche partout quelque trace des sévères préoccupations qui l’agitent, et malheureusement jamais littérature ne parut moins préparée que la nôtre aux devoirs qu’impose un état si nouveau des esprits. Ces devoirs seront-ils enfin compris ? A cette école de l’art pour l’art et de la fantaisie, née du caprice des poètes en des temps meilleurs, et dont l’empire, jusqu’à ce moment, fut presque sans rivalité, une école plus grave et mieux inspirée succédera-t-elle ? Le moment de répondre à cette question n’est peut-être pas venu ; mais on peut voir du moins si dans les publications récentes, même dans les plus légères, il ne se manifeste pas vaguement