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Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/754

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au bruit de nos canons les paisibles échos des montagnes de marbre, mais pour y renouer, s’il en est temps encore, les anciennes relations que la France, au commencement de ce siècle, s’était habilement créées à la cour du pieux Gya-long. Là où les Anglais et les Américains ont maintes fois échoué, nous avions réussi ; nous avions introduit nos produits et nos navires ; nous comptions auprès de l’empereur un évêque français (l’évêque d’Adran), des mandarins français, MM. Vanier, Chaigneau, etc. dont les noms, vainement défigurés par la rudesse du dialecte cochinchinois, ont survécu dans les souvenirs reconnaissans du pays. En un mot, il s’est établi en Cochinchine une sorte de tradition française qu’il vaudrait mieux entretenir par de bienveillans procédés que par la force des armes. Sur ce point, l’Angleterre ne nous a pas devancés ; profitons de cette bonne fortune ; veillons au moins à ce que nulle nation européenne ne s’empare, à notre préjudice et par notre faute, de l’influence politique et commerciale dans un pays qui, tôt ou tard, sera envahi, comme le Céleste Empire, par les intérêts de l’Occident.

Pour réussir, ou tout au moins pour sortir de la situation misérable qui nous est faite dans les mers de l’Asie, il faut que deux volontés, celle du gouvernement et celle du commerce, se soutiennent l’une par l’autre et conspirent résolûment au même but ; il importe surtout que les efforts, les actes se succèdent et gardent en quelque sorte l’impulsion de la force acquise. Parfois, dans un moment de juste coup d’œil, peut-être de loisir le gouvernement s’est ressouvenu de ces régions lointaines ; un jour, il s’empare de Taïti et des îles Marquises pour créer, au milieu du grand Océan, un point de relâche à nos baleiniers et à la navigation de long cours ; plus tard, il augmente la station des côtes de Chine, il envoie une ambassade, il crée de nouveaux consulats ; mais entre ces divers actes, inspirés par la même pensée, s’écoulent de longs intervalles, pendant lesquels la France laisse à ses rivaux le champ libre et perd maladroitement le prix des dépenses faites et des sacrifices accomplis. Ce n’est pas ainsi que l’on arrive au succès.

Le commerce, plus directement intéressé aux résultats de l’entreprise, a-t-il, de son côté, déployé l’activité, l’intelligent dont il aurait au besoin trouvé l’exemple dans la conduite du commerce anglais ? Sans atténuer les difficultés qui s’opposent, en Chine, à l’échange immédiat de nos produits, les délégués qui accompagnaient la mission de 1844 reconnaissent qu’il y aurait place pour la France sur les divers marchés de l’Asie, et que nous ne devons pas déserter la concurrence. Les chambres de commerce des ports et de plusieurs cités industrielles ont demandé à diverses reprises que l’état formât, sous son patronage, une grande compagnie qui établirait des comptoirs à Singapore, à Manille, à Canton, à Shanghai, et qui centraliserait les capitaux et les opérations commerciales ; mais nous ne sommes plus au temps où les compagnies ainsi fondées réussissent : celles qui existaient à la fin du dernier siècle sont, pour la plupart, dissoutes, et l’organisation particulière des associations qui fonctionnent encore sous le contrôle et avec la participation de l’état, en Angleterre et en Hollande, ne saurait plus être prise pour modèle. Le trésor public perdrait vraisemblablement ses avances, dévorées par les premiers frais d’installation, et un pareil échec découragerait toutes les espérances de l’avenir. Que les représentans d’une grande industrie, que les manufacturiers d’une même