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une curiosité trop indiscrète, on peut leur demander pourquoi ils n’ont pas réussi.

Je ne ferai pas de philosophie de l’histoire à l’occasion des ducs de Guise : leur nouveau biographe s’en est sagement abstenu ; je veux imiter son exemple, non que je méconnaisse l’utilité de cette science quand elle est renfermée dans de justes bornes ; je n’en réprouve que l’abus, devenu excessif de nos jours. M. le marquis de Bouillé ne s’est point jeté dans la phraséologie à la mode ; il ne s’est point égaré dans le labyrinthe des généralisations, dans les systèmes à. perte de vue : il s’est contenté d’appliquer à l’étude de l’histoire une raison judicieuse et ferme, fécondée par une préparation patiente, soutenue par la fréquentation assidue des sources les plus authentiques, par la connaissance approfondie des textes les plus autorisés. Il n’est point aujourd’hui de médiocre écrivain, point d’historien romanesque, pas même de romancier humanitaire, qui ne se mette en lieu et place de la Providence et ne se fasse t’interprète, le garant de ses décrets. À force de couvrir la vérité d’une enveloppe qui la dépare et qui la déguise, on finit par lui donner un air de conjecture ou de problème ; en faisant de l’histoire une sorte d’algèbre, en la calquant sur les formes des sciences exactes, on lui ôte le degré d’exactitude qui lui est propre. On n’entend plus parler que d’individualités qui s’incarnent dans une époque et qui la résument, d’hommes qui sont le coefficient d’un siècle, d’événemens qui se produisent ou se meuvent dans tel ou tel milieu, expressions justes au fond, mais descendues si bas, appliquées si mal à propos, mêlées à un jargon à la fois si prétentieux et si vulgaire, qu’en vérité il n’est plus possible de s’en servir. Toutefois, de la fausseté du langage, on ne doit pas toujours conclure à la fausseté des idées. Sans faire trop de philosophie de l’histoire, sans s’amuser aux subtilités ingénieuses, aux subdivisions arbitraires, on ne peut s’empêcher de distinguer parmi les hommes célèbres ceux qui furent opportuns, nécessaires, ceux qui vinrent dans leur temps, à leur heure, pour une tâche déterminée, pour une mission précise, et qui, tout en s’égarant quelquefois sur les routes de traverse, ne dévièrent jamais de la grande ligne que la Providence leur avait marquée. Parmi les intelligences d’élite préposées par elle au gouvernement du monde, les unes ont marché avec leur temps, les autres contre lui ; quelques-unes l’ont combattu ; d’autres en s’emparant de sa tutelle, l’ont dirigé dans le sens de sa destination spéciale et de ses tendances légitimes, non pas en se livrant à ses caprices avec une lâche complaisance, mais en s’associant à ses destinées avec dévouement et courage, en lui imprimant selon le besoin le mouvement qui accélère et féconde, le frein qui modère et retient, — en le conduisant, par la politique ou par les armes, par la paix ou par la guerre, quelquefois par tous ces