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Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/81

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aussi, quoique Athénée ne le dise pas, éprises de l’homme qu’elle aimait, la mirent à mort dans le temple même de Vénus, où elle s’était réfugiée ; et pour perpétuer le souvenir de cette violation du droit d’asile, le temple prit le nom de Vénus impie. L’épitaphe de Laïs nous a été conservée, et mérite d’être rapportée, car c’est en Grèce seulement qu’on pouvait ainsi célébrer la beauté d’une courtisane : « La Grèce, fière de son invincible courage, a été réduite en servitude par la beauté de Laïs, comparable aux déesses ; l’amour a engendré Laïs. Corinthe l’a nourrie, elle est maintenant ensevelie dans les nobles champs de la Thessalie. »

Il y a certainement dans la destinée de cette courtisane quelque chose d’émouvant. Cette femme qui, après avoir trouvé dans sa beauté tous les enivremens de la richesse et de l’orgueil, meurt victime de sa beauté même, vendue à l’âge de sept ans, vouée dès sa puberté au culte de Vénus, amoureuse pour la première fois à l’âge où la beauté s’enfuit, et pourtant belle encore, belle au point d’armer contre elle-même les femmes thessaliennes, n’offre-t-elle pas au poète un sujet nettement caractérisé, et qui échappe au reproche de vulgarité par son dénoûment tragique ? Pour se ranger à mon avis, il n’est pas nécessaire d’avoir lu Athénée, il suffit de parcourir les lignes que je viens de tracer. M. Augier, en prenant pour héroïne la plus célèbre courtisane de Corinthe, ne paraît pas avoir songé un seul instant à tenir compte de l’histoire ; je ne lui reprocherais pas l’ignorance ou l’oubli de la réalité, s’il eût trouvé dans son imagination quelque chose de mieux ; malheureusement le Joueur de flûte, quels que soient d’ailleurs les mérites de détail qui le recommandent, est bien loin d’offrir le même intérêt que les deux chapitres d’Athénée.

Chalcidias, qui, dans le treizième livre des Deipnosophistes, s’appelle Pausanias, a vendu sa liberté à Psaumis pour jouir pendant huit jours de la beauté de Laïs. Avec les deux talens qu’il a reçus en échange de sa liberté, il a pris possession de la courtisane sicilienne, que se disputaient à l’envi les rois, les généraux, les orateurs, les philosophes, car Laïs triomphe des scrupules les plus rebelles. Pour savourer sans contrainte le bonheur qui doit si tôt lui échapper, il ne doit livrer sa personne, qu’il a vendue, qu’à l’expiration de son bail avec Laïs, et il entre dans son lit sous le nom d’Ariobarzane, satrape du grand roi, satrape de Perse. Le huitième jour s’achève. Psaumis, qui convoite lui-même la beauté de Laïs, se croit maître du terrain par le départ d’Ariobarzane ; mais, comme il veut concilier le soin de ses plaisirs et le soin de sa caisse, il songe à se défaire de son emplette avec un bénéfice raisonnable. Il avait acheté Chalcidias pour plaire à sa femme ; sa femme ne se soucie plus du joueur de flûte, et il veut acheter la courtisane sans bourse délier, c’est-à-dire en consacrant à ses plaisirs