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Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/816

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le témoignage presque unanime des historiens, le président de Thou, d’Aubigné, Jean de Serre, Regnier de la Planche, sans compter les modernes ; mais on ne devine pas bien sur quelle base s’établit la dénégation d’un fait si bien appuyé. Si elle est tirée du caractère du duc de Guise, elle n’est pas concluante ; si c’est des mœurs du siècle, elle l’est encore moins. François de Guise y appartenait par ce côté comme par tant d’autres. Il avait voulu tourner contre la reine Élisabeth d’Angleterre le couteau de Hamilton, déjà teint du sang de Murray, et l’effusion de son propre sang est un nouveau témoignage de ces cruelles doctrines. Un héros, son égal et son émule, Gaspard de Coligny, s’est mal défendu de l’avoir désigné au pistolet de Poltrot.

Au surplus, tuer le roi de Navarre par l’ordre de François II était le seul moyen de faire monter le prince de Condé sur l’échafaud, la voie unique pour obtenir l’exécution de l’arrêt porté contre Louis de Bourbon, sans s’exposer quelque jour à de terribles représailles. Avec le roi pour second et pour ordonnateur du crime, les Guise pouvaient braver la vengeance de leurs ennemis ; sans cet appui, c’était trop hasarder que de faire périr publiquement un prince du sang par la main du bourreau. Aussi, malgré l’arrêt arraché à la complaisance ou à la peur des juges, Louis de Bourbon ne fut-il pas sacrifié[1].

Selon l’opinion générale, Condé n’a dû son salut qu’à la maladie et à la mort de François II. On croit que sans cette péripétie inopinée le prince de Condé aurait infailliblement porté sa tête sur le billot. Cela n’est pas vraisemblable, une telle audace aurait perdu les Guise et ils le savaient bien ; mais, puisqu’ils avaient tant fait que de dicter une condamnation capitale, il fallait pousser à bout leur audace il fallait cacher la hache, ou la laisser tomber hardiment. Les Guise se troublèrent, ils hésitèrent ; se retournant, dans l’embarras de leur triomphe, vers Catherine de Médicis, ils la supplièrent de leur livrer le prisonnier, de leur permettre de l’égorger à leur aise. Certes ils s’adressaient mal. On ne conçoit pas qu’ils aient pu se flatter un seul

  1. Ce fut Henri IV et surtout le cardinal de Richelieu qui mirent un terme à l’étrange jurisprudence, qui avait cours principalement en Espagne, par laquelle l’assassinat était assimilé à une exécution juridique, lorsqu’il était directement ordonné par le souverain. Cela avait même passé en théorie (voyez Antonio Perez, par M. Mignet). Les exemples en sont nombreux : le cardinal Martinuzzius avait été assassiné par l’ordre de l’empereur Ferdinand Ier, Rincon et Frégose par celui de Charles-Quint, Escovedo celui de Philippe II. La grande ame de Henri IV répugnait à de telles résolutions, comme il l’écrit à Sully (Œconomies royales édition Petitot, t. VII, p. 432). Ils ne voulurent pas les appliquer à Conchine et à la Léonora sa femme, accusés d’exciter contre lui la reine Marie de Médicis ; mais après lui ce même Conchine fut assassiné en pleine rue en vertu de ces mêmes principes et on lit à ce propos de bien curieux détails dans les Mémoires de Jean de Caumont, marquis de Montpouillan. À partir de Richelieu, on ne voit plus trace de rien de pareil. La monarchie absolue s’épurait en s’affermissant.