Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/820

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

toute la vie de Catherine un second exemple de ce genre d’amour-propre. Elle aimait du pouvoir moins l’apparent et l’éclat que l’exercice et surtout l’agitation. Pendant la minorité de Charles IX, elle négligea le titre si brillant, si envié de régente, et le prit pendant l’absence de Henri III. Dans ces deux occasions ; elle se détermina uniquement par l’opportunité politique et par la raison d’état. Catherine n’en déployait pas moins dans l’occasion la fierté d’une grande reine : elle savait imposer ; « elle rabrouait fort les glorieux, elle les abaissait sous son regard jusqu’au centre de la terre[1]. » Elle s’armait parfois du sarcasme sanglant de l’ironie amère ; mais ; quoique d’humeur gaie et plaisante, de très bonne compagnie, au dire des contemporains, la reine Catherine s’abstenait avec soin de la moquerie, de cette fine mitraille française qui avait fait tant d’ennemis à d’autres femmes admises comme elle au partage du pouvoir suprême : à Mme de Valentinois, à Mme d’Étampes, à Marie Stuart surtout. Sa voix, qui lançait la foudre, ne la faisait jamais précéder d’éclairs sans chaleur et sans puissance. Elle avait de la simplicité dans les manières, comme toutes les Italiennes, mais elle n’en avait pas dans le caractère ; le sien fuyait la ligne droite et tournait naturellement en spirale Elle n’aimait pas le mal, mais elle ignorait le bien. Ce qui lui manquait, c’était le cœur ; elle ne pouvait rien aimer, pas même son fils Henri III, quoi qu’on en ait dit ; je crois aussi qu’elle ne se donnait pas la peine de haïr beaucoup de choses. Davila, qui la voyait de près et qui l’admirait trop, la dépeint avec vérité, lorsqu’il la montre non pas tant avide que dédaigneuse du sang humain. Catherine l’était aussi des opinions humaines. Je doute fort qu’elle ait poussé l’incrédulité jusqu’à l’athéisme, comme les modernes l’en accusent. La préoccupation des sciences occultes lui était commune avec presque tous ses contemporains ; les plus religieux : ne repoussaient l’astrologie que parce qu’ils croyaient à sa puissance. La reine-mère était moins indifférente qu’on ne le pense en matière de religion ; elle avait de la répugnance pour le protestantisme ; même dans le temps où elle le protégeait, son instinct, à défaut de sa foi, penchait vers l’ancien symbole. Jamais elle ne songea sérieusement à l’abandonner. « Nous prierons Dieu en français, » a-t-elle dit, et sans doute elle préférait la couronne de son fils et sa propre position dans ce monde à ses intérêts dans l’autre : elle aimait mieux aller au prêche que de retourner à Florence, et rester en France que d’aller au ciel ; rien ne prouve cependant qu’elle eût pris aucun parti sur les questions religieuses, et surtout un parti aussi violent, aussi absolu, aussi irrémédiable que l’athéisme. À la vérité, elle ne reculait devant aucune spéculation ; elle écoutait tout, elle savait tout comprendre.

  1. Brantôme, Christine de Danemark.