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souvent répété, même par des voix éloquentes, n’en est pas moins en contradiction manifeste avec les faits.

D’abord, il est matériellement inexact que Richelieu ait détruit l’aristocratie. Qu’entend-on par ce mot ? Est-ce une classe politique dominante ? Une telle classe n’a jamais existé en France. Richelieu n’a donc pas eu la peine de la détruire, et, dans tous les cas, si elle a jamais été maîtresse des affaires, ce n’est pas Richelieu qui lui aurait ravi le pouvoir ; cette tâche aurait été accomplie avant lui. Bien long-temps avant sa naissance, nos rois avaient eu des ministres qui s’étaient appelés La Brosse et Marigny, Jacques Coeur et Duprat, Olivier et L’Hôpital. S’agit-il de l’aristocratie considérée comme une haute classe sociale, seul caractère de la noblesse parmi nous ? Richelieu est si loin d’avoir causé sa ruine, qu’on l’a vue reparaître avec plus d’éclat sous la fronde, immédiatement après la mort de son prétendu destructeur. Ce que Richelieu a combattu, ce n’est pas l’aristocratie sociale ou politique, c’est un état de choses sans nom et sans forme produit par les guerres civiles, amené surtout par les Guise, et qu’Henri IV lui-même, forcé de faire des concessions de toute nature, n’a pu refuser à l’exigence des partis. Ce n’est ni l’aristocratie territoriale ni même l’aristocratie féodale, mais l’anarchique oligarchie des gouverneurs de province ; c’est l’occupation des points fortifiés du pays, notamment sur la frontière, par les anciens chefs de factions qui, n’étant plus des chefs féodaux, des grands vassaux de la couronne et n’étant pas encore devenus ses sujets, constituaient, sous le nom de gouverneurs, une association de rebelles armés. Soumis à la royauté en apparence, dans la réalité ils tenaient le roi en échec, toujours prêts à recommencer la guerre civile. Voilà ce qu’a attaqué, ce qu’a écrasé Richelieu. Il n’a pas renversé un édifice il n’a fait que balayer des décombres. Mais, dit-on, en privant le trône de ses soutiens il l’a isolé, et dans un avenir plus ou moins rapproché, il a rendu sa chute inévitable. Ici, il y a deux questions distinctes : qu’on me permette de les poser.

Après la ligue, après les Guise, après ces furieux et ces brouillons qui avaient bouleversé la France, quel était pour elle l’intérêt le plus immédiat, le plus pressant ? Le rétablissement de l’ordre par l’autorité royale. Qu’est-ce qui s’y opposait alors ? Est-ce le peuple ? Non assurément. Remué à la surface pendant les guerres de religion, agité d’un mouvement factice, éveillé au branle du beffroi de l’Hôtel-de-Ville le peuple, depuis Henri IV, était rentré dans l’engourdissement et le silence. D’où venaient donc les périls du trône ? Est-ce du parlement, de la bourgeoisie, du clergé ? Non, mais de ce reste de féodalité catholique ou huguenotte qui, n’ayant plus la force de gouverner, même de combattre, s’était cantonnée dans des citadelles, dans des places de sûreté. Qu’avait à faire Richelieu, si ce n’est de lutter avec