Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/941

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bon d’avertir M. Hesse que ses lutteurs ne connaissent pas très bien leur affaire. Le croc en jambe que Jacob cherche à donner à son adversaire est contre les règles de l’art. La Mère de douleurs, de M. Dugasseaux, est aussi d’un bon style et d’un sentiment de composition parfaitement juste : assise au bord d’une route dans un paysage morne, la vierge tient sur ses genoux le corps de son fils, et son attitude dit bien : « O vous tous qui passez sur la route, regardez et voyez s’il est une douleur égale à ma douleur. » Des anges dans la manière des maîtres italiens garnissent à droite et à gauche le haut du tableau. Si M. Dugasseaux exécutait comme il conçoit et compose, il serait un de nos premiers peintres.

Donnez pour sujet de tableau un épisode de la Saint-Barthélemy à l’un de nos réalistes : il y a gros à parier qu’il s’attachera quelque affreuse représentation de massacre prise sur le fait, — le corps décapité de Coligny, par exemple, traîné au croc dans les ruisseaux par la populace, ou, s’il veut faire le procès de la royauté, comme M. Julien de La Rochenoire s’inspirant de Mézeray, « Charles IX tirant sur ses sujets par la fenêtre du Louvre et taschant de les canarder avec sa grande arquebuse à giboyer. » M. Decaisne montre un meilleur goût en choisissant, au milieu de cette horrible boucherie, un trait de courage qui élève la pensée : Le chancelier de l’Hôpital pendant la Saint-Barthélemy a rassemblé amour de lui sa femme, sa fille et ses petits-enfans qui se pressent épouvantés à ses genoux ; d’un cœur ferme et le front serein, il attend les assassins qu’on voit dans le fond monter tumultueusement l’escalier. Cette disposition est bien entendue : le groupe principal offre de belles lignes, et chacune des têtes a bien l’expression juste qui lui convient. La beauté des étoffes est d’une qualité habituelle à M. Decaisne ; nous retrouvons cette qualité dans un petit tableau de genre du même peintre, Louis XIV et madame de la Vallière, où M. Decaisne a dépassé tout ce qu’il avait fait de mieux jusqu’à ce jour comme délicatesse de dessin, arrangement et distinction de couleur. Ses deux portraits de femmes se recommandent également par leur élégance et leur bon goût.

En prenant pour thème le Jeune Malade d’André Chénier, M. Jobbé-Duval rencontrait nécessairement le souvenir de la Stratonice de M. Ingres. M. Duval a jeté dans son tableau tant de jeunesse et de channe intime, qu’il s’est tiré avec bonheur d’une si redoutable comparaison. Rien de plus gracieux que sa jeune fille blonde qui, dans un pan de sa tunique blanche, apporte des fleurs à son amant ; tandis qu’elle lui tend la main, le jeune insensé

Tremble, et, sous ses tapis, il veut cacher sa tête.


Ce mouvement est naïvement rendu ; le vieillard assis au pied du lit, la vieille mère, sont d’une grande correction de dessin.