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Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/946

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sa peinture éblouissante manque souvent de modelé, dans l’Amour désarmé par exemple, et l’on se permet de dire que ses Bohémiens ont touchés d’une manière trop uniforme, arbres, figures et vêtemens. Qu’est ce à dire ? les défauts qu’on découvre sont-ils de date récentes ? n’ont ils donc pas toujours, existé ? Il me semble que le Tombeau de l’amour vaut tout ce que M. Diaz a fait jusqu’à présent. Le corps demi-nu de la jeune femme qui pleure, la tête entre ses mains, offre le même empâtement brillant et le même dessin douteux que l’on connaît à M. Diaz ; la draperie bleue qui l’enveloppe depuis la ceinture est aussi fraîche et aussi peu arrêtée que d’habitude. Il y a de la morbidezza et un éclat magique dans le portrait de Mme de S., mais beaucoup de maniérisme aussi ; ces yeux pochés, ces lèvres sanguinolentes, ces cheveux pareils à de la crème fouettée sont de grandes afféteries. Quand on parle de M. Diaz, ce serait vraiment conscience d’oublier M. Longuet, son fidèle Achate, M. Longuet, qui fait aussi des nymphes, et des bohémiens pour l’amour de M. Diaz, comme M. Hédouin fait des smalah et des marabouts pour l’amour de M. Leleux. À se donner tant de mal pour imiter quelqu’un, il me semble, soit dit en passant, qu’on pourrait choisir des modèles plus corrects et d’un ordre plus relevé : le mieux est encore de n’imiter personne, car, lorsqu’on suit quelqu’un, on est toujours derrière.

Les qualités de M. Delacroix sont de celles que les peintres et un petit nombre de gens exercés peuvent seuls apprécier. La composition chez lui accuse une sûreté de goût extrême, et, dans le maniement de pinceau, cet artiste rencontre fréquemment des effets de couleur d’une finesse et d’une hardiesse incomparables. Dans la foule que ses tableaux ont le don heureux de passionner en sens contraires, on trouve deux catégories bien distinctes, les génies incompris, trop heureux de se reconnaître dans les erreurs d’un homme de talent, et les gens du monde qui, pour se donner un air capable, arrivent avec une admiration toute faite, applaudissent à ses excentricités, s’exclament précisément aux endroits défectueux et ne prennent pas garde aux beautés véritables. À côté de ces enthousiasmes factices, le bourgeois, pétri de préjugés, s’obstine à trouver que les personnages de M. « Delacroix sont bien laids et bien contournés, qu’ils possèdent, en guise de pieds et de mains de véritables pattes d’orang-outang, que ses chevaux sont d’une couleur fantastique, ses draperies improbables, etc. Le bourgeois a-t-il absolument tort ? Ne lui passerons-nous pas condamnation sur le cheval du Giaour, qui s’élance jusqu’au bord des flots à la poursuite de sa maîtresse, tout en reconnaissant que, dans ce petit tableau, il y a une grande puissance de mouvement, un groupe énergiquement conçu auquel il ne manque que des détails un peu plus polis ? De mène de la Lady Macbeth, sujet si déplorablement manqué par M. Müller