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Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/956

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pinceau de M. Lehmann qui l’idéalisera ; tout en lui donnant la vie et le mouvement, M. Lehmann l’aura buriné sans voile, sans aucun artifice de clair-obscur qui aurait pu sauver les lignes défectueuses, échauffer la froideur, faire saillir le recoin de beauté que chacun porte plus ou moins enfoui. Quand M. Lehmann a rencontré une tête charmante et gracieuse domine celle de Mlle ***, de belles lignes comme chez Mme L***, ou un modèle à caractère comme celui dont il a fait une Étude, on peut mieux goûter son style, la finesse de son modelé et son goût d’ajustement ; mais sa couleur n’en reste pas moins toujours âpre, sèche et fatigante. C’est grand dommage pour le portrait de Mlle…, dont la chevelure blonde et le teint éblouissant appelaient une touche plus moelleuse. Dans celui de M. Ponsard, le peintre n’a-t-il pas outré l’expression en donnant à l’auteur de Lucrèce l’aspect d’un bandit de la Sierra Morena ? La grande Étude de M. Lehmann est d’une fière tournure. Cette tête superbe, dont les yeux lancent des éclairs, dont les lèvres arquées et souriantes sont prêtes à décocher un sarcasme, ressemble à quelque splendide portrait du Bronzino, ce peintre des grands airs et des attitudes hardies. Le modelé dans les parties nues, la tête, le cou, les épaules, en est très savant. Pourquoi M. Lehmann a-t-il fait les mains si noires, comme dans plusieurs autres de ses tableaux ? on ne saurait trop louer les accessoires, la robe de velours, la fourrure qui sert de passage entre l’étoffe et les chairs, et les rubans de couleur éclatante qui relèvent si heureusement les cheveux noirs.

Avec une égale habileté d’arrangement, M. Ricard montre plus de variété et de souplesse ; amoureux de la couleur, il se plaît en des essais charmans de styles divers, suivant les types que lui offrent ses modèles. A-t-il devant les yeux une tête au large front paisible, aux chairs éclatantes, aux cheveux et à la barbe fauve, il lui passe un pourpoint : et une collerette, et son pinceau, heureux de fouiller dans ces trésors, fait apparaître un Flamand de la meilleure époque. Ailleurs, c’est une Vénitienne en robe de velours, manches à crevés de satin couleur de feu, aux splendides carnations. La pâte solide et fine de ce tableau, la largeur de la touche, la transparence et la légèreté des ombres dénotent une habileté de brosse extraordinaire. Les yeux sont doux, et profonds, les mains, admirablement dessinées, et le rosé de la poitrine avec le temps se changera en ces belles teintes d’or qui courent sur les bras et les épaules de la maîtresse du Titien. À ceux qui pourraient l’accuser de pastiche et d’artifice, M. Ricard prouve, en restant dans le XIXe siècle, qu’il ne perd rien de ses qualités, lesquelles ; dégagées de la séduction des souvenirs, apparaissent alors dans leur véritable originalité. Plusieurs portraits d’hommes, d’une facture variée suivant les modèles, montrent que M. Ricard sait, en n’étant que lui-même, déployer un talent considérable et tout-à-fait hors ligne.