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Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/988

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cinq minutes, le canevas fut arrangé entre les deux interlocuteurs, et quant au dialogue, on devait l’improviser. L’auditoire trouva que Mme de Genlis n’avais jamais eu tant d’esprit ; elle en sut gré à son jeune acteur et l’engagea à composer des comédies. Il fallait les encouragemens de cette femme illustre pour vaincre la timidité naturelle de M. Leclercq. Quant aux conseils qu’elle lui donna dans l’art d’écrire, on en peut juger par l’anecdote suivante, que je tiens de M. Leclercq lui-même. Un jour, il lui racontait une scène plaisante, à laquelle il venait d’assister. « C’est bien, dit-elle, mais il faut changer la fin. — Comment ! s’écria-t-il, mais je l’ai vu de mes yeux ; c’est la vérité. -Eh ! qu’importe la vérité ? Il faut être amusant avant tout. » On voit, en lisant les Proverbes dramatiques, qu’il ne suivit pas à la lettre les leçons de Mme de Genlis. Il sut être amusant mais il resta toujours vrai.

Ses premiers proverbes furent composés ; et joués à Hambourg, dans une petite société française que les événemens politiques y avaient réunie au commencement de l’empire. Des militaires, des diplomates furent ses premiers acteurs, et lui, comme Shakspeare et Molière, auteur, directeur, acteur, l’ame de troupe en un mot. En 1814 et 1815, il créa encore un théâtre de société à Nevers, recruta ses comédiens dans toutes les maisons, leur apprit leur métier en moins de rien, et obligea des provinciaux à s’amuser et à être amusans. Quelques années plus tard, nous le retrouvons établi à Paris pour n’en plus sortir, et cette fois à la tête d’une troupe, qui, dit-on, n’avait point d’égale. On se réunissait dans le salon de M. Roger, secrétaire général des postes. M. et Mme Mennechet, M. Augier de l’Académie française, Mme Augier étaient ses premiers sujets. L’auditoire, peu nombreux, était digne de comprendre de tels acteurs. Les représentations se succédaient, et le spectacle était toujours varié. Cependant l’idée de publier ses proverbes était encore loin de la pensée de M. Leclercq, qui s’imaginait que ses dialogues si vifs et si spirituels ne pouvaient se passer du jeu des acteurs. Il fallut, pour le décider à se faire imprimer, que le public fût déjà plus qu’à moitié dans sa confidence. Bien des indiscrétions avaient été commises. Les acteurs montraient leurs rôles, on citait maints traits charmans dans les salons, des auteurs comiques empruntaient sans façon sujet et dialogue et croyaient avoir tout inventé lorsqu’ils avaient changé le titre de proverbe en celui de vaudeville ou de comédie. M. Leclercq avait si peu le caractère de l’homme de lettres, qu’il sut peut-être bon gré à ces messieurs de leurs emprunts. C’était un éloge indirect auquel il était sensible, et qui lui donna le courage de se produire, non pourtant devant tout le public, car les deux premiers volumes des Proverbes dramatiques furent d’abord imprimés à ses frais et distribués à ses amis seulement. Les journaux en parlèrent, les éditeurs vinrent frapper à sa porte, et bon gré, mal gré, son livre fut mis en vente. Je me souviens de lui avoir entendu raconter fort gaiement l’espèce de honte qu’il éprouva lorsque son premier éditeur vint lui apporter le prix de ses œuvres. Il ne savait s’il devait le prendre et craignait de ruiner son libraire. Sur ce point il fut bientôt rassuré. Plusieurs éditions se succédèrent rapidement, et peu d’ouvrages ont eu tant de débit, dans un temps où la réclame n’était pas encore inventée.

Tout le monde a lu les proverbes de M. Théodore Leclercq, ils sont dans toutes les bibliothèques, et se jouent encore, l’automne, dans maint château