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« D’autre part le sieur L. (M. de Vergennes dira son nom à votre majesté)[1], député secret des colonies à Londres, absolument découragé par l’inutilité des efforts qu’il a tentés par moi auprès du ministère de France pour en obtenir des secours de poudres et de munitions de guerre, me dit aujourd’hui : « Une dernière fois, la France est-elle absolument décidée à nous refuser tout secours et à devenir la victime de l’Angleterre et la fable de l’Europe par cet incroyable engourdissement ? Obligé moi-même de répondre positivement, j’attends votre dernière réponse ; pour donner la mienne. Nous offrons à la France, pour prix de ses secours secrets, un traité secret de commerce qui lui fera passer, pendant un certain nombre d’années après la paix, tout le bénéfice dont nous avons depuis un siècle enrichi l’Angleterre, plus une garantie de ses possessions selon nos forces. Ne le voulez-vous pas ? Je ne demande à lord Shelburne que le temps de l’allée et du retour d’un vaisseau qui instruira le congrès des propositions de l’Angleterre, et je puis vous dire dès à présent quelles résolutions prendra le congrès à cet égard. Ils feront sur-le-champ une proclamation publique par laquelle ils offriront à toutes les nations du monde, pour en obtenir des secours, les conditions que je vous offre en secret aujourd’hui. Et pour se venger de la France et la forcer publiquement à faire une déclaration à leur égard qui la commette à l’excès, ils enverront dans vos ports les premières prises qu’ils feront sur les Anglais : alors, de quelque côté que vous vous tourniez, cette guerre que vous fuyez et redoutez tant, devient inévitable pour vous, car ou vous recevrez nos prises dans vos ports ou vous les rejetterez ; si vous les recevez, la rupture est certaine avec l’Angleterre ; si vous les rejetez, à l’instant le congrès accepte la paix aux conditions proposées par la métropole ; les Américains outrés joignent toutes leurs forces à celles de l’Angleterre pour tomber sur vos îles et vous prouver que les belles précautions mêmes que vous aviez prises pour garder vos possessions étaient justement celles qui devaient vous en priver à jamais.

« Allez, monsieur, allez en France ; exposez-y ce tableau des affaires ; je vais m’enfermer à la campagne jusqu’à votre retour pour n’être pas forcé de donner une réponse avant d’avoir reçu la vôtre. Dites à vos ministres que je suis prêt à vous y suivre, s’il le faut, pour y confirmer ces déclarations ; dites-leur que j’apprends que le congrès a envoyé deux députés à la cour de Madrid pour le même objet, et je puis vous ajouter à cela qu’ils ont reçu une réponse très satisfaisante. Le conseil de France aurait-il aujourd’hui la glorieuse prérogative d’être seul aveuglé sur la gloire du roi et les intérêts de son royaume ? »

« Voilà, sire, le tableau terrible et frappant de notre position ; votre majesté veut sincèrement la paix ! Le moyen de vous la conserver, sire, va faire le résumé de ce mémoire.

« Admettons toutes les hypothèses possibles, et raisonnons :

« Ce qui suit est bien important :

« Ou l’Angleterre aura dans cette compagne le succès le plus complet en Amérique ;

  1. C’était Arthur Lec, qui fit depuis partie avec Franklin de la députation américaine à Paris.