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dans Kircha par la chanson d’Ivan Godinovitch, voulait qu’un khan tatare fait prisonnier ne fût ni battu, ni insulté, ni pendu. On le traitait comme une majesté déchue. Les Slaves du sud n’avaient point pour les grossiers nomades d’Asie ce respect servile ; ils ne considéraient point leurs chefs comme d’inviolables Augustes. Ensuite les héros du gouslo russe recourent trop souvent à la ruse ; ils jouent à ces pauvres moujiks des tours indignes d’hommes sérieux. Ce sont moins des héros épiques que des héros de mélodrame. Les personnages illyro-serbes ont des allures plus fières et plus droites, principalement chez André Katchilj.

Comme le Cosaque Iakubovitch prend dans ses chansons le pseudonyme de Kircha Danilov, ainsi Katchitj, au début de son recueil, se présente lui-même sous le nom du vieux Monténégrin Miloran. Pressé par son pobratim, le knéze de Kataro, de prendre la gouslé, Milovan se plaint d’abord amèrement de l’indifférence de ses contemporains, « qui n’ont plus, dit-il, pour les gouslars le respect dû à leur caractère. » Enfin il se décide et commence par la chanson des Faucheurs d’Alexandre le Grand, car c’est jusque-là que les Serbes du Balkan font remonter leur histoire. Vaincus par le héros macédonien, ils le suivirent armés de leurs faux à la conquête du monde ; puis Alexandre mourant rendit à ses faucheurs serbes la liberté, en comblant leurs douze bans ou princes nationaux de privilèges magnifiques. Vient alors un résumé chronologique de tous les règnes des rois illyro-slaves, depuis Bradil, qui, peu avant la naissance d’Alexandre, avait soumis les Macédoniens au tribut, jusqu’à Agro, qui réussit à concentrer sous son sceptre toutes les peuplades illyriennes, et laissa en mourant sa veuve Teuta à la tête d’une monarchie florissante et redoutée sur mer comme sur terre. Cependant les Romains viennent attaquer Tenta, dont le général en chef Demetre passe à l’ennemi avec toutes ses troupes. Une partie des Illyriens subît le joug de Rome, pendant qu’une autre partie continue de lutter. Les révoltes dès lors ne cessent plus en Illyrie jusqu’à celle de Bato et Pinet, qui, sept ans après Jésus-Christ, réunirent sous leur étendard jusqu’à huit cent mille Illyriens, tous bouillant de venger contre Rome leur patrie outragée. Pourtant l’indépendance complète des Illyriens ne renaît qu’après la destruction de Rome par les Germains. Alors s’ouvre le premier cycle épique des héros de Katchitj, qui ont pour centre Dioclée au Monténégro, ville autrefois superbe, maintenant enterrée sous la mousse des forêts.

Peu à peu Katchitj arrive à la période des invasions musulmanes et à l’asservissement complet de sa patrie. Cette période voit commencer les guerres d’ouskoks ou réfugiés serbes, qui passaient incessamment des provinces turques dans la Hongrie et les états de Venise.