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à travers les spectacles variés des mondes lointains. Là du moins il y a l’originalité imprévue des mœurs, des passions, des caractères, le mouvement des intérêts, l’étrangeté des épisodes. Si le voyageur a une certaine verve d’observation et d’imagination, ses impressions peuvent avoir le charme entraînant d’un roman avec l’intérêt d’une relation. C’est de ce genre que pourrait se rapprocher un livre assez étrange de M. Alexandre Holinski sur la Californie et les routes interocéaniques. M. Holinski est un Polonais, citoyen américain qui écrit ses voyages en français ; il raconte ce qu’il a vu à la Havane, à Panama, au Mexique, dans la Californie. La verve certes ne manque point dans ces pages curieuses, il y a parfois de pittoresques peintures et surtout plus d’un trait d’une humeur bizarre et capricieuse ; seulement le paradoxe s’y mêle par momens à doses un peu vigoureuses. M. Holinski a un malheur auquel il faut compatir : c’est un démocrate voyageant à la recherche de l’unité du genre humain, de la fraternité universelle ! Heureusement il oublie assez souvent ses recherches pour ne laisser point d’être un voyageur amusant. Il y a un autre inconvénient dans le livre de M. Holinski, c’est qu’il est fréquemment assez cru, et qu’il vous fait assister à des scènes d’un laisser-aller un peu étrange Il est vrai qu’on est en Californie, pays où ne règne pas pour le moment la plus classique morale. Une des parties les plus curieuses du livre de M. Holinski en effet, c’est la peinture de San-Francisco, ville étrange où tout se mêle, tout se confond. Toutes les nations ont là leurs représentans : ici les français, là les Allemands, plus loin les Espagnols, d’un autre côté les Chinois. Chaque nation a son quartier, et tous ces élémens viennent se joindre sous l’empire d’une passion unique, celle de l’or. M. Holinski raconte plus d’une scène d’un relief étrange, où se peint tout entière cette vie pleine de hasards et de violences, et aussi d’une sorte de farouche originalité. Eh bien ! avec tous ces élémens incohérens, il se formera sans doute une société plus normale. La recherche de l’or fera place à la culture, aux industries régulières, à un ensemble de travaux plus moralisateurs. C’est l’œuvre du temps ; pour le moment, l’unique mobile, comme l’unique lien de toutes ces populations flottantes, c’est la poursuite, d’une fortune rapide, c’est la conquête de l’or. De toute manière Cependant, ce vaste mouvement d’émigration qui pousse les populations de l’Europe vers ces contrées, tous ces hasards de la vie américaine sont assurément un des spectacles contemporains les plus puissans et les plus merveilleux.

La vie européenne, il faut en convenir, si elle a par instans ses péripéties et ses drames, diffère singulièrement néanmoins de ces spectacles du Nouveau-Monde. Elle a cette régularité que la civilisation entraîne avec elle, et qui ne saurait être bannie pour longtemps du sein de nos vieilles sociétés, quand elle s’en trouve momentanément chassée. Si nous avions peu d’incidens à noter aujourd’hui dans la vie intérieure de la France, on pourrait en dire autant de bien d’autres pays. Ce n’est point parmi nous seulement que les complications de l’affaire orientale sont le grand, l’unique événement. Elles touchent aux intérêts de tous les peuples, sinon au même degré, du moins assez pour occuper la place principale dans leurs préoccupations politiques. Quant aux questions d’un autre genre qui s’étaient élevées récemment sur quelques points, notamment en Suisse, ont-elles fait un pas ? La