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une espèce de simplicité fine et observatrice, la naïveté, le naturel, lorsque par malheur il tomba entre les mains de Favart. Celui-ci était une sorte de bonhomme ample et facile qui, tout en tournant ses pâtisseries, s’était senti quelque verve et quelque gaieté, et il avait, comme il le dit, broché une douzaine d’opéras-comiques qu’il avait jugés bons à jeter au four. Dans le développement de son génie naturel, il avait trouvé deux chances contraires, sa femme et M. de Voisenon. La chronique assure que ces deux chances n’en faisaient qu’une, et que l’avait était un partait philosophe, non point un philosophe de l'Encyclopédie, mais un facile, adopte de cette débonnaireté conjugale qui était alors la philosophie par excellence. Cela nous importe peu, mais il est certain que ces deux influences se liguèrent pour façonner à la mode du XVIIIe siècle le génie de Favart. Sa femme, actrice célèbre, substituait dans son jeu la finesse à la naïveté, la grimace à l’enjouement, l’art à la nature, et c’est bien là ce qu’il faut reprocher au mari. Pour M. de Voisenon, c’était incontestablement un homme fort illustre et le plus maniéré conteur du temps. Il habillait, dit-on, les poupées de Favart, qui se montra toujours grandement honoré de son amitié et le révéra comme l’arbitre du goût. Poursuivi par ces deux ennemis, ce talent simple et hardi, plein de bonhomie et de malice en même temps, devint de l’afféterie. Favart rougit de sa simplicité ; tout son soin fut de prouver qu’il était capable, de choses délicates, et il comprenait si peu quelle pouvait être au XVIIIe siècle la destinée de l’opéra-comique, qu’il disait mériter les étrivières pour avoir créé ce mauvais genre. Ce voile de mauvais goût dont il enveloppa ses instincts littéraires le rendit célèbre : on l’appela le continuateur d’Anacréon, un digne fils d’Apollon. De notre temps, ses panégyristes lui accordent un « naturel charmant, une gracieuse simplicité, une gaieté gauloise ; « mais cette gracieuse simplicité est corrompue jusqu’à la moelle, et c’est ce naturel charmant qui danse dans les ballets d’opéra. Peut-être aussi serait-il temps de ne plus confondre l’art gaulois avec une collection de maris imbéciles, d’Agnès corrompues, d’épouses amoureuses, de baillis voleurs et de médecins ignares. Ces marionnettes éternelles ne sont que des momies arrachées de leurs niches, et souvent elles ont été tirées d’un art déjà corrompu. En tout cas, ceux qui découpent l’esprit de Rabelais ou de Molière ne représentent pas plus la Gaule que ceux qui donnent la torture à la phrase de Chateaubriand ne représentent la France. On nous assure cependant que la Chercheuse d’esprit de Favart est un chef-d’œuvre, un chef-d’œuvre de naïveté, et qu’elle renferme un mot sublime. Ce chef-d’œuvre de naïveté se passe parmi des paysannes qui pensent comme dans les coulisses de la Comédie-Française. Il s’agit d’une mère qui conseille à sa fille d’aller chercher de l’esprit, et la fille s’y emploie de la bonne manière : on sait, d’après La Fontaine, comment l’esprit vient aux filles. Ce chef-d’œuvre de naïveté, d’une donnée odieuse, d’une recherche continue, ne présente que cette habileté, déjà remarquée chez Boufflers, de tenir dans un équilibre adroit les mots honnêtes et les pensées obscènes. Le naturel n’y est que le bavardage de gens d’esprit déguisés en paysans, et la naïveté y est tellement envahie de grivoiserie, avoisinée de badinage convenu, qu’elle n’est plus qu’une rhétorique particulière. En somme, le XVIIIe siècle, quand il cultive la simplicité,