Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/226

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de braves gens d’avoir ozé combattre si vaillamment ; c’est à quoy je ne m’attendais pas, et estimais que, voyant une armée si puissante, vous deussiez vous retirer sans combattre. » - « Monseigneur, s’écria Guiton, jusqu’ici Dieu m’a faict cette grâce de n’avoir jamais tourné le dos au combat, et je me fusse plustôt perdu par le feu que de fuir. »

Tel était l’homme que les Rochelais choisirent pour chef lorsque, assiégés depuis neuf mois et déjà à bout de ressources, ils voulurent raffermir leurs propres courages. Il fallut un dévouement plus qu’ordinaire pour accepter une pareille tache, et l’on comprend les hésitations de Guiton ; mais, une fois engagé, il ne faiblit pas un instant. Au milieu des scènes affreuses que nous avons rappelées, il montrait à ses concitoyens un front toujours calme, presque gai. Administration intérieure, défense de la place, négociations avec l’Angleterre et le roi, il faisait tout marcher de front. Le jour, il présidait les conseils, visitait les malades, et consolait les mourans ; la nuit, il faisait des rondes et commandait lui-même des patrouilles. Quelques citoyens égarés par le désespoir, comprenant bien que seul il prolongeait cette résistance désespérée, voulurent, à diverses reprises, le frapper de leurs poignards, et tentèrent d’incendier sa maison. Guiton, sans pitié pour les espions et les traîtres, se borna à faire mettre en prison ceux qui ne s’en prenaient qu’à lui, et redoubla d’efforts et de constance. Enfin, après avoir vu la flotte anglaise se montrer deux fois sans rien tenter, après avoir eu connaissance du traité par lequel ses infidèles alliés le livraient à Richelieu, voyant sa garnison réduite à soixante-quatorze Français et soixante-deux Anglais[1], Guiton crut avoir fait et obtenu de ses compatriotes tout ce qui était humainement possible. Alors il demanda le premier qu’on se rendit au roi, et, oubliant tout grief personnel, il alla tirer de prison un de ses plus constans ennemis, l’assesseur Raphaël Colin, et lui remit la garde de la ville, voulant faciliter ainsi la conclusion du traité. Les conditions en furent sévères. On laissa à ce qui restait de Rochelais la vie, les biens et la liberté de conscience, mais tous les privilèges de la ville et les remparts qui la protégeaient durent tomber en même temps[2]. Le maire et dix des principaux bourgeois

  1. Au commencement du siège, la garnison se composait de douze compagnies de bourgeois et de cinq à six cents Anglais auxiliaires. Nous avons vu plus haut que les compagnies urbaines étaient de 200 hommes. Sur 2,400 bourgeois armés pour défendre leur ville, il en était donc mort environ 2,326.
  2. Ces conditions, accordées par Richelieu, alors que toute prolongation de la résistance était rigoureusement impossible, précisent nettement le caractère de la lutte. Il est bien évident qu’elle était avant tout politique, au moins aux yeux des chefs des deux partis. Si le cardinal avait obéi surtout à l’esprit catholique de son temps, il n’aurait pas laissé aux Rochelais leurs temples et leurs pasteurs. Si le corps de ville avait mis l’intérêt de ses croyances religieuses avant celui des franchises municipales, il n’aurait pas pris contre la domination anglaise ces précautions minutieuses et parfois offensantes, qui seules peuvent expliquer ce que la conduite de Buckingham et de ses successeurs envers leurs alliés présente d’étrange et de peu généreux.