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net ? Toute la révolution agricole est là. La première conséquence est l’abandon des cultures qui, dans une situation donnée, ne paient pas leurs frais, et la concentration de tous les efforts du producteur sur celles qui les paient le mieux ; la seconde est la recherche des méthodes qui peuvent abréger, simplifier le travail en le rendant plus productif. Pourquoi, par exemple, le cultivateur anglais s’attache-t-il à produire avant tout de la viande ? Ce n’est pas seulement parce que les animaux entretiennent par leur fumier la fertilité de la terre, c’est encore parce que la viande est un produit très demandé et qui se vend dans toute l’Angleterre avec la plus grande facilité. Si nos producteurs français pouvaient fournir tout d’un coup autant de viande, le prix tomberait au-dessous des frais de revient, parce que la demande n’est pas suffisante. Notre population n’est pas dès à présent assez riche pour payer la viande ce qu’elle vaut. Il faut attendre que l’industrie et le commerce aient fait des progrès suffisans pour fournir des moyens d’échange. À mesure que ces progrès se feront, la demande augmentera, et nos producteurs se mettront en mesure d’y satisfaire ; il serait insensé de l’exiger d’eux plus tôt. Sans Arkwright et Watt, Bakewell eût été impossible ; il est arrivé juste au moment où l’élan donné à la production industrielle augmentait rapidement la demande de viande. Nous n’avons pas besoin d’aller jusqu’en Angleterre pour voir la production de cet aliment devenir abondante dès que le débouché est suffisant. Les pays où il s’en produit le plus chez nous sont ceux où elle est le plus chère, c’est-à-dire le plus demandée ; elle est à bon marché dans le midi, et le midi n’en produit presque pas. En 1770, la viande se vendait en Angleterre 3 deniers ou 30 centimes la livre anglaise, elle s’est vendue jusqu’à ces derniers temps, même après tout ce qui a été fait pour augmenter le rendement de toute espèce de bétail, 6 deniers ou 60 centimes, c’est-à-dire le double : ces chiffres disent tout.

Pour le laitage, est-il étonnant qu’on ait multiplié les vaches laitières, quand le lait se vend couramment, dans la plus grande partie de l’Angleterre, de 20 à 30 centimes le litre ? Les ouvriers anglais consomment beaucoup de lait ; près des villes manufacturières, le produit moyen d’une vache laitière est évalué à 20 livres sterling ou 500 fr. ; il n’est pas rare d’en trouver qui rapportent jusqu’à 1,000. Le beurre, qui se vendait en 1770 6 deniers, ou 60 centimes la livre anglaise, se vend aujourd’hui un shilling ou 1 fr. 25 c. Lui aussi a doublé. Mettez tous nos cultivateurs dans des conditions pareilles, et vous verrez s’ils ne sauront pas avoir de bonnes vaches et les bien soigner. Voyez ce que la proximité du marché de Paris a fait faire aux producteurs de Gournay et d’Isigny.

La suppression du seigle, son remplacement par le froment, sont