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et autres ont été mises en exploitation. Voilà bien des milliards dont la meilleure partie est revenue aux propriétaires du sol ; et ce ne sont pas seulement les grands propriétaires qui se sont partagé cette bonne aubaine, moyens et petits en ont eu leur part.

Il est enfin un dernier moyen qui fait refluer vers la propriété du sol une grande partie des capitaux créés par l’industrie : c’est l’acquisition des propriétés rurales par des commerçans enrichis. Ces acquisitions, plus nombreuses qu’on ne parait le croire en France, ajoutent beaucoup à la richesse moyenne de la propriété, et contribuent à la rendre plus libérale envers le sol. Les nouveaux propriétaires portent dans l’administration de leurs biens ruraux une largeur de ressources et une hardiesse de spéculation qui se rencontrent rarement au même degré chez d’autres. En voici un exemple entre mille. Un riche manufacturier de Leeds, M. Marshall, a acheté, il y a quelques années, une terre de 2000 acres ou 400 hectares à Padrington, près de l’embouchure de l’Humber, dans l’East-Riding du comté d’York. Les énormes dépenses qu’il y a faites aussitôt en reconstructions de bâtimens, établissemens de machines à vapeur, drainage, chaulage, etc., sont célèbres dans toute l’Angleterre.

Ces exemples sont peut-être plus frappans encore en Écosse. L’Écosse, étant un pays beaucoup plus neuf, tente davantage l’esprit d’entreprise. Dans un de ses intéressans récits d’excursions agricoles, un agronome voyageur, M. de Gourcy, cite un spéculateur anglais qui, après avoir fait fortune dans les Indes, a acheté du duc de Gordon, dans le comté d’Aberdeen, une propriété à peu près inculte, de 9,000 hectares, pour près de 3 millions, et qui y dépense 1,500 fr. par hectare en travaux de toute sorte, c’est-à-dire cinq fois le prix d’achat. Ces travaux consistent surtout en défoncemens. La propriété étant presque partout hérissée de rochers de granit, on les fait sauter à la mine et on les emporte ; on aplanit le sol ainsi déblayé, on le draine, on le chaule, on le divise en fermes de 150 hectares environ chacune, et M. de Gourcy affirme que ces fermes sont louées pour dix-neuf ans à raison de 5 pour 100 de ce qu’elles ont coûté. L’opération aura absorbé en tout de 15 à 20 millions. Un autre spéculateur encore plus hardi, M. Mathieson, a acheté la plus grande des Hébrides, l’île de Lewis tout entière, qui a environ 500,000 acres anglais, ou 200,000 hectares d’étendue, et y a commencé un cours d’améliorations qui doit la transformer.

Des phénomènes analogues se produisent en France tous les jours, avec moins d’intensité sans doute, parce que l’industrie est moins productive, mais avec les mêmes caractères et dans les mêmes conditions. Que de fortunes ont été faites depuis cinquante ans dans les terrains de Paris et des autres villes de France ! Que de riches indemnités