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prendre les armes ; d’un autre côté, la guerre de 1812 a conquis aux États-Unis, — qu’étaient-ils alors, comparés à ce qu’ils sont aujourd’hui ? — leur place et leur position dans la société des nations. À vrai dire, c’est pour eux seuls que les Anglais ont une considération véritable, et à leur tour les Anglais sont seuls aussi acceptés pour émules par les États-Unis ; le reste du monde, ils sont d’accord les uns et les autres pour le tenir en très médiocre estime : c’est chez eux d’instinct populaire. Quant aux combinaisons plus ou moins profondes, à l’aide desquelles certains politiques qui se prennent pour des Machiavels espèrent qu’à un jour donné il serait possible d’aider les deux gouvernemens à se brouiller et de parvenir à humilier l’un par l’alliance que l’on formerait avec l’autre, ce sont rêves d’enfans ou de diplomates surannés, qui sont d’un siècle en arrière de leur époque. Quiconque, sans y être expressément convié, voudrait s’immiscer dans les querelles particulières des deux peuples serait repoussé comme un intrus, si même il n’était pas traité comme le malencontreux M. Robert est traité par Sganarelle et par sa femme dans la seconde scène du Médecin malgré lui.

Et si, au lieu de les considérer comme deux individualités abstraites et indépendantes l’une de l’autre, ce qui n’est qu’un artifice de la logique, on prend au contraire les deux puissances dans la réalité et dans la force des intérêts qui les lient et les unissent aujourd’hui plus étroitement que jamais, on reconnaîtra que toute hypothèse d’une rupture entre elles entraîne aussi la condition d’un déchirement immense et impossible. Dans les années de disette, en 1847 par exemple, d’où l’Angleterre a-t-elle tiré la plus grande quantité de grains et de vivres de toute espèce pour les besoins de sa population nécessiteuse ? Dans les années ordinaires, d’où lui vient ce coton qui occupe tant de milliers d’ouvriers, qui compte pour une si grande part dans les travaux de son industrie, qui lui fournit son plus important instrument d’échange avec le monde ? Quel est le peuple sur la terre avec lequel elle fait le commerce le plus considérable ? Elle ne saurait se passer des États-Unis, et la réciproque n’est pas moins vraie. Malgré l’activité et le succès de leurs efforts, les États-Unis sont un peuple jeune qui n’a pas encore eu le temps de produire la population et les capitaux nécessaires à l’exploitation de son immense territoire. Qui lui fournit par an trois cent mille bras pour le défrichement de ses solitudes ? qui est-ce qui possède la plus grande partie de la dette particulière des états ? qui a donné le plus grand nombre des millions qui ont servi à la construction des canaux, des chemins de fer et des grandes œuvres d’utilité publique ?

Il y a encore les liens du sang qui unissent aujourd’hui des millions d’hommes de l’un et de l’autre côté de l’Atlantique, il y a la