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ébats des étudians de l’université lui semblent une impiété abominable. Tandis qu’ils vont soutenant chacun leur dire, l’indulgent botaniste a ramassé quelques herbes qu’il enferme avec soin dans sa boite de fer-blanc. O profanation ! crime de lèse-majesté ! l’une d’elles est précisément ce Waldmeister, le jeune roi des forêts printanières. Il était parti pour Rüdesheim, où l’attend sa belle fiancée Fleur-de-Vigne. Séparé un instant de sa suite, laissant derrière lui le chancelier Basilic et le grand-maréchal Genévrier, le prince amoureux était allé rêvant par les sentiers fleuris, et venait de se reposer au sein d’une touffe d’aspérules, quand l’irrévérencieux botaniste renferma sans plus de façon dans sa boite. Ce que devient le brillant prince au milieu des champignons qui garnissent l’étui du docteur, il faut le demander au récit de M. Otto Roquette. Après maintes aventures bizarres, après maintes scènes tumultueuses où la poésie du vin se livre un peu trop à ses ébats, il y a là toute une série de tableaux où se joue mélodieusement la fantaisie de l’auteur.

En traitant de tels sujets. M. Otto Roquette pouvait aisément se laisser prendre aux séductions des romantiques, et renouveler sans profit les élégantes puérilités de Brentano et de Fouqué. Non ; sa pensée est jeune et alerte ; il chante la vie allemande sous le voile des anciennes féeries, il chante la jeunesse allemande, les rêveries studieuses des artistes, les voyages de l’étudiant aux belles années d’université. Si ce n’était que l’épopée du vin, si ce n’était que la voix enivrée du Johannisberg, on s’en lasserait bien vite ; l’inspiration qui relève ces badinagcs, c’est le sentiment le plus frais de la nature et un patriotisme très poétiquement senti. M. Otto Roquette a été accueilli en effet avec un empressement amical. Il n’a pas la gravité de M. Gruppe, il n’a pas non plus le style mâle et doux de M. de Rodenberg, mais sa grâce toute germanique a su enlever les cœurs. Encore une fois ce sont là des préludes aimables. Une les jeunes poètes toutefois prennent garde de s’y oublier ! L’esprit de ce siècle est un esprit sévère ; il peut sourire à ces enfantines rêveries du passé, il peut se plaire un instant à ces ébauches naïves d’une jeune école : il exigera bientôt des conceptions plus hautes. Tous ces poètes seraient perdus, s’ils ne comprenaient pas la vraie signification de leur succès. Ce qui a plu chez eux, c’est le signe d’une littérature rajeunie et l’espoir d’un nouveau printemps. On a encouragé le présent, mais on ne songeait qu’à l’avenir.

Ce travail de préparation poétique est si bien le caractère des deux dernières années, qu’il s’offre à nous sous maintes formes différentes. Étudier les monumens littéraires de la patrie, c’est le premier soin des jeunes artistes ; qui essaient aujourd’hui leurs forces. Il y a encore d’autres manières d’assouplir le style et de tremper l’imagination. La littérature allemande, surtout depuis Herder et Goethe, a toujours brillé par ses traductions des chefs-d’œuvre étrangers. L’auteur de Faust avait en lui l’idéal d’une langue cosmopolite où toutes les productions du génie de l’homme seraient sympathiquement accueillies ; il rêvait une sorte d’exposition universelle de l’art. L’Allemagne a répondu à son vœu et continué son œuvre. Assoupli de nouveau par les études des poètes romantiques et par la dextérité d’Henri Heine, le mâle et flexible idiome de Goethe s’est prêté à la reproduction de tous les monumens de la poésie européenne. Dans un pays où les érudits eux-mêmes ont traduit en artistes les œuvres qui exerçaient leurs investigations,