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Ce billet a une certaine signification quand on se souvient de la scène à laquelle l’auteur fait ici allusion. Il paraît que Dugazon, en jouant le rôle du vieux valet La Jeunesse, avait une façon d’éternuer qui excitait les rires prolongés du parterre, et comme ce succès l’amusait lui-même, il abusait de l’éternuement, si bien qu’on n’entendait plus les paroles de Bartholo dans la discussion avec son valet, au deuxième acte. Or ces paroles du docteur, auxquelles on voit que Beaumarchais tenait beaucoup, sont précisément les tirades sur la justice, la raison, l’autorité, dans lesquelles Beaumarchais donne carrière à son esprit frondeur ; c’était, en un mot, la nuance d’opposition, déjà indiquée dans le Barbier, que Beaumarchais ne voulait pas qu’on affaiblît.

Bientôt la sollicitude de l’auteur du Barbier porte sur un autre point ; il croit s’apercevoir que les comédiens cherchent à faire tomber sa pièce afin de la confisquer à leur profit en vertu d’un règlement dont il sera parlé plus loin, et il leur adresse la lettre suivante :


« Paris, ce mercredi 20 décembre 1775.

« En m’écrivant, messieurs, qu’on vous demandait le Barbier de Séville pour samedi prochain, vous avez oublié d’ajouter que ce même jour on donnait à la cour le Connétable de Bourbon[1]. Comme c’est la seconde fois que pareille demande, accompagnée de pareil oubli, a manqué de faire courir à ce pauvre diable de Barbier le danger d’une représentation équivoque, ou de tomber (critique à part) dans les règles[2], j’ai l’honneur de vous rappeler que, sur pareille remarque, la première fois, toute la Comédie convint que, sans tirer à conséquence, il était possible que j’eusse raison ce jour-là, et la pièce ne fut pas jouée le jour du Connétable. Je vous prie donc, messieurs, qu’il en soit ainsi dans cette seconde occasion. Autant j’aurai de reconnaissance toutes les fois qu’en un bon jour de bonne saison la Comédie fera l’honneur à ma pièce de la glisser au répertoire, autant je croirais avoir à m’en plaindre, si elle ne se souvenait jamais du Barbier que pour lui faire boucher un trou, dans lequel il courrait le hasard de s’engloutir tout vivant au grand détriment de son existence et de mes intérêts.

« Tous les bons jours, excepté le samedi 23 décembre 1775, jour du Connétable à Versailles, vous me ferez le plus grand plaisir de satisfaire avec le Barbier la curiosité du petit nombre de ses amateurs. Pour ce jour seulement, il vous sera bien aise de leur faire goûter la solidité de mes excuses, reconnue par toute la Comédie elle-même.

« J’ai l’honneur d’être avec considération, estime, amitié, etc.,

« Caron de Beaumarchais. »

« En relisant ma lettre, je réfléchis que la Comédie peut se trouver embarrassée pour samedi, parce que tous les tragiques sont à Versailles. Si c’est là

  1. Tragédie de Guibert, l’auteur de la Tactique.
  2. Double allusion à une phrase de Beaumarchais dans son mémoire contre Mme Goëzman et à une disposition particulière des anciens règlemens du Théâtre-Français.