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Avant de quitter Philadelphie, j’ai eu un plaisir que je rêvais depuis longtemps et qui m’avait toujours échappé ; j’ai enfin entendu Mlle Jenny Lind, le rossignol suédois, comme on dit ici[1], que je suivais à la piste à travers les différentes villes de l’Union, et qui s’envolait toujours avant mon arrivée. Par bonheur, Mlle Lind chantait aujourd’hui à Philadelphie, la veille de mon départ. On sait quel enthousiasme elle a excité dans ce pays ; il y avait pour cela plusieurs raisons, d’abord elle a un grand talent, une réputation faite en Europe, de plus son caractère est justement respecté et son âme très charitable. Elle a chanté en Amérique pour toutes sortes d’institutions utiles, d’écoles, d’hôpitaux, etc. À la vogue s’est jointe l’estime. J’ai donc été, dans une salle pleine de beau monde, entendre le rossignol. J’étais bien aise aussi d’observer le goût musical américain ; il m’a semblé que les grands airs d’opéra étaient écoutés assez froidement et que les romances étaient beaucoup plus goûtées. Une ballade suédoise a surtout eu beaucoup de succès, et le dernier vers a ravi. Mlle Lind y filait avec une grâce pathétique un son mourant qu’on écoutait encore quand on ne l’entendait plus. Pour ma part, ce souvenir de Suède en Amérique me plaisait : j’aimais à prêter l’oreille encore une fois, après bien des années, aux beaux sons de cette langue, la seule mélodieuse des langues germaniques et qu’on pourrait appeler l’espagnol du Nord. Par un singulier hasard, j’avais rencontré, il y a vingt-cinq ans, Mme Catalani à Stockholm, et je devais rencontrer Mlle Lind à Philadelphie.


17 décembre, Baltimore.

Impossible de m’arrêter ici. Je le regrette : tout ce qu’on m’a dit de la société de Baltimore est bien propre à m’inspirer ce sentiment ; mais il fait trop froid pour un invalid, comme on dit en anglais, qui court après le sud et qui s’est laissé surprendre par un temps devenu tout à coup très rigoureux. Je n’ai point trouvé du tout, comme le dit Volney, que le climat s’adoucisse brusquement quand on a passé la rivière Patapsco. Bien enveloppé, j’ai parcouru les principales rues de Baltimore. La ville m’a paru plus propre et plus coquette qu’aucune autre ville d’Amérique, surtout dans la partie haute, qui est une sorte de faubourg Saint-Germain. J’ai marché très longtemps sans apercevoir une boutique. Au sommet de la colline sur laquelle Baltimore est assis sont des églises ; au bas, des cheminées d’usine et des navires. Mais j’étais trop engourdi pour avoir de rien une impression très distincte. Je partirai donc bien vite pour Washington, où d’ailleurs je veux arriver à temps pour voir

  1. C’est le nom que donnait la reine Ulrique-Éléonore à la belle Aurore de Kœnigsmark.