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Mais si la politique extérieure s’arrête, le progrès intérieur continue toujours. Laissant de côté les dernières querelles, toujours assez vives, entre les États-Unis et l’Angleterre dans l’Amérique centrale, essayons de suivre, non pas sur la superficie immense de l’Union, mais sur un seul point, le travail rapide, incessant qui s’accomplit dans ces nouvelles régions. Prenons pour but de ces investigations le Wisconsin, un des plus jeunes états de l’ouest. En 1840, sa population était de 30,000 habitans ; en 1850, elle était de 305,000 ; l’émigration a accompli ce prodige. Son fonds d’école est peut-être le plus considérable de l’Union. Un million d’acres de terres publiques a été donné à l’état par le congrès, afin de constituer, avec la vente de ce vaste domaine, un fonds permanent, dont le revenu est destiné à l’éducation des enfans encore à naître. Plus de 500,000 acres de terres ont été donnés en outre par le congrès, sans compter une retenue de 5 pour 100 sur toutes les ventes des terres de l’état. Dans la même pensée, on a accordé 46,080 acres de terres de premier choix, toujours avec la même libéralité, pour la fondation d’une université. Ce fonds d’école peut être estimé à une somme de 5 millions de dollars (25 millions de francs) pour le seul état de l’Ohio ; c’est à peu près notre budget général de l’instruction publique pour la France entière. Les particuliers, rivalisant avec l’état, ont élevé dans différentes villes, à Milwaukie (une ville qui, en 1840, comptait mille habitans, et qui aujourd’hui en compte plus de vingt-cinq mille), à Appleton, à Waukesha, des collèges, des écoles et des académies qu’ils soutiennent de leurs propres deniers. Les exportations du Wisconsin, qui se composent d’articles spéciaux tels que plomb et bois de charpente (car le commerce et les manufactures y sont encore dans l’enfance), s’élèvent à 10 ou 11 millions de dollars. Voilà quels sont les commencemens d’un état de l’Union américaine, l’un des moins civilisés, des plus sauvages, où les routes manquent encore, où les rail-ways et les canaux sont encore à l’état de projets, où la majeure partie de la population est composée d’émigrans pauvres, encore inexpérimentés, et qui n’ont pas été élevés à l’école énergique des Yankees, où d’ailleurs le sol, quoique fertile, n’exerce pas sur l’esprit des nouveaux émigrans les fascinations fiévreuses de la Californie et de l’Australie. Cette heureuse Amérique, qui se peuple du superflu de nos populations, que les gouvernemens européens sont encore trop heureux de pouvoir lui envoyer, ne semble exister que pour réaliser cette vieille prophétie sacrée, « qu’un jour viendra où chaque famille s’asseoira à l’ombre de ses oliviers, et où le désert s’épanouira et fleurira comme un rosier touffu ? » Et néanmoins chaque fois que nous dépouillons une de ces arides colonnes de statistique, nous ne pouvons nous défendre d’un sentiment de tristesse, car, dans leur sécheresse mathématique, ces chiffres ne constatent-ils pas la lente décadence de la vieille Europe ? Une chose nous rassure néanmoins, c’est que dans ce pays si énergique, si laborieux, si entreprenant, les superstitions les plus corrompues, la fatigue morale, les hallucinations subversives, règnent aussi puissamment que dans nos vieilles contrées européennes. Chaque arrivée des paquebots à vapeur nous apporte les comptes-rendus de meetings extravagans et l’exposition de doctrines absurdes. Nous avons deux de ces comptes-rendus dans les derniers