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différentes écoles du moyen âge, dans les écoles juives d’abord, puis dans la scolastique, et enfin dans l’école de Padoue, son dernier asile. Ici, les difficultés du sujet semblent redoubler ; Averroès parait avec un double rôle : c’est d’une part, comme le dit l’auteur, « le grand interprète d’Aristote, autorisé et respecté comme son maître ; c’est de l’autre le fondateur d’une doctrine coupable, le représentant du matérialisme et de l’impiété. » M. Renan suit jusque dans ses moindres détails cette curieuse biographie d’une abstraction qui traverse plusieurs siècles en se partageant en deux affirmations contradictoires. Il touche, en passant, aux problèmes les plus élevés de l’histoire, et nous signalerons, entre autres, comme un morceau remarquable à tous égards, le chapitre intitulé : De l’Incrédulité au moyen âge, et les pages dans lesquelles il explique l’influence exercée par la maison des Hohenstaufen sur les croyances religieuses de leur temps.

M. Renan, dont le volume ne contient guère que trois cent cinquante pages, a donné ainsi, sous une forme concise, l’une des monographies les plus complètes qui aient été publiées dans ces dernières années, et nous croyons devoir insister d’autant plus sur le mérite de cette œuvre, qu’elle appartient à cette forte et saine école de l’érudition française dont les représentans sont de jour en jour plus rares. Quand les bonnes traditions s’affaiblissent, c’est un devoir pour la critique de rendre pleine et entière justice à ceux qui se montrent capables de les faire revivre. Des exemples trop nombreux nous ont prouvé d’ailleurs que les livres médiocres sont en général plus vivement recommandés que les bons livres. Pour réussir dans le monde, on l’a dit depuis longtemps, il faut être audacieux et fluet ; pour être loué dans les lettres ou dans les sciences, il ne faut faire ombrage ni aux parvenus ni à ceux qui veulent parvenir, et si nous voulions trouver des preuves à l’appui de cette remarque, nous n’aurions qu’à regarder autour de nous. Heureusement les travaux sérieux finissent toujours par devenir, auprès du public éclairé, la plus sûre des recommandations ; aussi M. Renan a-t-il conquis, dès le début même, un rang très honorable. Nous ne pouvons, pour notre part, que nous associer complètement à son succès : comme, orientaliste, comme écrivain philosophique et comme historien, il a fait ses preuves, et nous l’engagerons vivement à s’appliquer à une grande œuvre. Cette œuvre lui est, en quelque sorte, indiquée d’avance par la supériorité même de ses études : c’est l’histoire de la civilisation musulmane dans ses rapports avec l’Europe chrétienne au moyen âge.


CH. LOUANDRE.


V. DE MARS.