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succédait. Sophie-Dorothée avait en quelques semaines pris l’âge de raison ; mais hélas ! cette crainte et cet éloignement qu’elle ressentait à l’égard de son fiancé, il semblait que jamais rien ne les dût amoindrir, et lorsqu’on lui annonça la venue prochaine du prince George, la pauvre enfant s’évanouit.

Enfin le jour tant redouté arriva. Le prince George de Hanovre, présenté par le duc de Celle, son futur beau-père, salua d’abord Eléonore, puis, après quelques mots dont l’étiquette recommandait l’échange, il s’approcha de sa fiancée, qui, unie par une sorte de désespoir et dans son parti pris de se montrer gracieuse, fit de son côté trois ou quatre pas au-devant de lui. Mais seulement ses yeux, abaissés jusque-là, se levèrent ; mais, son regard rencontrant le masque impassible du prince, qu’un air de bienveillance étudiée lui rendait en ce moment plus désagréable, un frisson de terreur la saisit, et ses genoux fléchirent au point que, pour ne pas tomber, elle dut s’appuyer sur un meuble.

La maîtresse de George de Hanovre, cette Catherine de Meissenberg qui, devenue baronne de Busche, régnait alors en souveraine sur le cœur du futur époux de Sophie-Dorothée, avait, dans l’espoir de faire manquer une union que naturellement elle détestait, représenté d’avance au prince la fille du duc de Celle comme une espèce de cervelle éventée et de coquette perfide et dangereuse. Aussi ce que pouvait avoir d’étrange cette première entrevue n’étonna point beaucoup le prince George, qui se demanda seulement si c’était du malaise, de la sensibilité jouée, ou quelque coup de théâtre habilement mis en œuvre. Quoiqu’il en soit, la chose lui déplut. Cet homme, habitué à la stricte observation de la discipline militaire, ne pouvait souffrir qu’on s’écartât de la moindre règle établie par l’usage, et Sophie-Dorothée, en s’avançant vers lui, avait failli à la première loi des convenances. Cependant, malgré la fâcheuse impression qu’il ressentait, le prince offrit le bras à la jeune fille, et, l’ayant conduite jusqu’au prochain sopha, se tint debout, l’œil fixe et presque indifférent, tandis que la mère s’empressait autour de son enfant et cherchait en même temps à l’excuser, en mettant cette équivoque et soudaine pâmoison sur le compte d’une santé encore mal rétablie et d’un vertige fort explicable dans la circonstance.

Lorsque, cent douze ans plus tard, l’arrière-petit-neveu de George Ier et de Sophie-Dorothée. George IV, qui n’était encore que prince de Galles, eut sa première rencontre avec sa fiancée, autre princesse de Brunswick, la même scène, chose étrange, se renouvela. Egal début de deux drames qui se devaient aussi ressembler par le dénoûment !

Toutefois ce déplaisir ne fut qu’un éclair, et le prince George se mit à contempler un peu plus en détail celle qui devait, sinon posséder