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et pleine de généreux sentimens. Ce fut plus tard, lorsqu’il se lia avec l’aimable et voluptueux Frédéric-Auguste[1], depuis électeur de Saxe et roi de Pologne, qu’il l’accompagna dans sa romanesque tournée en Europe, que Philippe perdit son caractère mélancolique, et que le vrai sang des Kœnigsmark reprit chez lui ses droits. Entre son frère Charles-Jean et le prince de Saxe, le Roméo de la cour de Celle était à bonne école. Il profita de l’exemple et se forma, disciple impétueux qui devait finir par dépasser ses maîtres en débauche. Pendant les huit ou neuf ans qui s’étaient écoulés entre ses adieux à la princesse et le moment où il la revit à Hanovre, Kœnigsmark avait mené l’existence d’un libertin et d’un aventurier, partageant ses jours entre les hasards de la guerre et les entreprises galantes. De retour de son odyssée, il avait appris à la cour de Dresde les infidélités conjugales de George de Hanovre et les mauvais traitemens que ce prince tyrannique et sa maîtresse faisaient subir à Sophie-Dorothée. Kœnigsmark, à cette époque, avait cessé d’aimer la princesse, mieux encore, il se sentait devenu indigne d’elle ; mais sa haine n’avait point pardonné, et cette haine en voulait à George, à la comtesse Platen, — à la comtesse surtout, instigatrice de ce fatal mariage et dont les criminelles manœuvres avaient poussé la belle Mélusine dans la couche adultère du prince électoral. Se venger à la fois de ces trois êtres détestés, dévoiler aux yeux de tous les infamies de la comtesse et forcer George à rompre avec Mélusine de Schulenbourg, tels étaient dès longtemps ses projets, lorsqu’une occasion s’offrit de les accomplir en entrant au service du duc-électeur de Hanovre : il la saisit.

Pour perdre à jamais Elisabeth dans la faveur d’Ernest-Auguste, le meilleur moyen selon Philippe était de se faire aimer d’elle. Nous avons vu comment cette ruse de guerre avait réussi au-delà de ses

  1. Le même dont nous avons ici raconté les amours avec la sœur de Kœnigsmark. Il y a à ce sujet une question de dates à discuter. Plusieurs historiens des galanteries de cette époque, entre autres le célèbre baron de Pœlnitz, dans ses Mémoires, semblent croire que ce fut seulement après la mort tragique de Philippe que prit naissance la liaison du prince de Saxe Frédéric-Auguste avec Aurore. Pour l’honneur de notre héros, volontiers nous le souhaiterions ; malheureusement la correspondance de Philippe ne permet pas le moindre doute à cet endroit, et prouve une fois de plus que si la beauté, la bravoure et certaines qualités brillantes de l’imagination étaient échues en dot aux Kœnigsmark, cette race fameuse ne se recommanda jamais beaucoup par sa délicatesse et sa moralité. Ma sœur qui a eu son altesse pour mari, écrit Philippe à Sophie-Dorothée en variant le thème avec un enjouement spirituel fort voisin du cynisme ; puis autre part : « Mon beau-frère (le comte de Lewenhaupt) aura aussi une affaire ; c’est que dans une débauche on doit avoir dit : Oh ! vraiment, quand on a pour belle-soeur la maîtresse d’un prince, l’on peut avoir bientôt des régimens. L’on nomme pour auteur de cette histoire le lieutenant-colonel Groot. On demandera une explication l’épée à la main. »