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les dernières feuilles, où verdit le dernier gazon, ou chantent les derniers oiseaux sous les rayons tièdes et déjà épuisés des derniers beaux soleils.

Dans ce roman, mistress Gaskell s’attaque à ce vice si connu de la société anglaise, le cant. Toutes les sociétés, à dire le vrai, sont plus ou moins pharisaïques ; elles ont pour tout ce qui est légalement admis l’indulgence la plus grande, et pour toute action commise en dehors de leurs habitudes la plus sévère proscription. Commettez un crime, et vous pourrez être absous, s’il ne blesse pas les apparences de la bienséance mondaine ; — ne vous avisez pas de commettre une étourderie, vous seriez perdu à jamais : telle est trop souvent la justice du monde. Mais ce pharisaïsme qui se retrouve à doses diverses au fond de toutes les sociétés est plus fort que partout ailleurs en Angleterre et semble inhérent à la société anglaise. Il est là plus difficile à combattre et à guérir qu’en aucun pays, car il résulte beaucoup, à notre avis, du caractère du peuple même, et on ne doit pas l’attribuer, comme on l’a toujours fait, à certaines hypocrisies religieuses, à certaines habitudes protestantes. Allez au fond du caractère anglais, cherchez la raison de sa silencieuse gravité, de sa gaucherie de manières, de sa raideur. Le peuple anglais est le plus timide de tous les peuples, celui qui, chose étrange à dire, se défie le plus de ses forces et craint le plus de les mesurer avec celles de ses adversaires. Chez lui, vous ne trouverez rien des qualités et des défauts de l’esprit celtique, agressif, satirique et présomptueux. Les Anglais sont les hommes les plus inoffensifs du monde, mais ils ne le sont pas naïvement, car, ainsi qu’on nous le faisait remarquer récemment, nul peuple n’a eu plus à souffrir depuis des siècles des plaisanteries du continent et n’a été informé plus clairement par les quolibets de l’Europe de ses défauts, de ses travers, des points faibles de sa nature. Ayant donc instinctivement la conscience de sa timidité, dépourvu de toute arme agressive, l’Anglais se tient toujours sur la défensive et cherche à ne pas donner prise à ses adversaires. De là pour lui-même une grande sévérité, un soin scrupuleux de sa personne, une réserve constante et en un mot l’emploi de tous les moyens qui peuvent l’entourer des apparences de la respectabilité, dans laquelle il se retranche comme dans une forteresse. De là aussi une défiance constante d’autrui, l’exigence de ces mêmes formes extérieures de respectabilité chez les individus qui l’approchent et l’entourent, la peur involontaire d’être pris pour dupe. Posséder pour soi la respectabilité, c’est posséder une cuirasse, être à l’abri de toute attaque ; exiger d’autrui cette même respectabilité, c’est désarmer ses voisins, les mettre hors d’état de nuire. De là résultent dans la société anglaise le triomphe complet et presque