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système général consiste à imprimer, graver à la pointe sèche, tracer mécaniquement ou chimiquement des lettres ou des alphabets de convention, en un mot à fournir une dépêche écrite, tandis qu’en France et en Angleterre la dépêche est toujours lue et ne laisse aucune trace. Entre 1837 et 1840, le professeur américain Morse prit sept brevets d’invention. Dans un procès soutenu par ses ayant-cause en 1851, les preuves juridico-scientifiques formaient un volume de plus de 1,000 pages. Le nombre de pages pour les petits procès n’est ordinairement que de 3 à 400 ; mais il s’agissait de télégraphes qui emploient les fils conducteurs par mille et mille kilomètres[1].

Quelques-uns des systèmes de Bain et de Morse sont fondés sur un effet chimique, à peu près suivant le principe indiqué par Sœmmering. Une pointe métallique glisse sur un papier préparé chimiquement, et suivant qu’on envoie ou qu’on supprime le courant, elle y trace des points, des traits allongés, des doubles ou triples points ou des traits simples et doubles qui font un alphabet facile à lire, et on a de plus l’avantage, de conserver écrits les mots ou les dépêches transmis. Ces traits et ces points peuvent aussi signifier les un ils d’un vocabulaire particulier dont les deux seuls correspondrons ont la clé. En France, excepté les dépêches diplomatiques et celles que le courrier de l’Inde, arrivant à Marseille, transmet tout de suite au gouvernement anglais par le câble sous-marin, aucune dépêche secrète ne peut être transmise ; mais on a constaté jusqu’ici que, malgré les graves intérêts d’affaires pécuniaires qui ont été débattus par la voie électrique, aucune infidélité, aucune indiscrétion même n’a pu être reprochée à nos employés français. Plusieurs personnes m’assurent, mais je répugne à le croire, que, malgré les chiffres employés par les Américains, le secret du télégraphe

  1. Une circonstance honorable pour la France, et sur laquelle on devra insister quand on fera l’histoire détaillée de la télégraphie électrique, c’est qu’après les noms de Volta, physicien italien, inventeur de la pile, et d’OErsted, qui trouva l’action de la pile sur l’aiguille aimantée, les principaux savans dont les découvertes ont donné la possibilité de transmettre des signaux au loin, soit par la lecture, soit par l’impression, sont Français. Les travaux de MM. Ampère et Arago sur l’électro-magnétisme font une partie considérable de leur gloire et de celle de l’Institut et de la France même. Ampère, en 1822, énonce expressément l’idée du télégraphe électrique (*). « On pourrait se servir, dit-il, dans certains cas de l’action de la pile sur l’aiguille aimantée pour transmettre des indications au loin. Il faut alors employer un fil conducteur assez gros, parce que le courant électrique s’affaiblit très sensiblement dans les fils fins, quand la longueur du circuit est considérable ; cet inconvénient n’a pas lieu avec un fil d’un diamètre suffisant ; alors l’aiguille se met en mouvement dès que l’on établit la communication. Nous ne nous arrêterons pas à développer les cas où ce genre de télégraphe présenterait quelque utilité et pourrait être substitué aux porte-voix et aux autres moyens de transmettre des signaux ; il nous suffira de remarquer que cette transmission est, pour ainsi dire, instantanée. M. Soemmering avait imaginé un télégraphe du même genre, mais au lieu d’employer L’action d’un faisceau de fils sur autant d’aiguilles aimantées qu’il y a de lettres, il proposait d’observer la décomposition de l’eau dans autant de vases séparés. » L’ouvrage que nous citons ici, et qui de plus contenait un précieux exposé des découvertes de Fresnel sur la lumière, ayant été détruit par suite d’embarras de librairie, il n’en est resté que peu d’exemplaires, qui se paient aujourd’hui au prix exorbitant. L’article relatif à l’électro-magnétisme a été traduit en allemand et on peut au besoin se le procurer dans cette langue, comme on l’a fait en Amérique, on l’intérêt pécuniaire a conduit à l’érudition. M. Ampère fils, l’académicien actuel ; dans un récent voyage aux États-Unis, a eu le bonheur de recevoir les félicitations dues à son père pour cette belle idée, à laquelle il ne manquait que la mise en œuvre. Dans la deuxième édition de l’excellent voyage de M. Charles Olliffe, intitulé Scènes américaines, ouvrage fait sur les lieux et aussi consciencieux dans les détails qu’intéressant par le fond du sujet, — l’auteur, après avoir parlé du fait physique découvert par OErsted, ajoute avec une complète justice que les principes de la nouvelle branche de physique furent appliqués pour la première fois par un illustre Français, M. Ampère. Ceux qui pourront se procurer l’ouvrage publié en 1822, et qui a pour titre Supplément à la traduction de la Chimie de Thompson, par Riffault, y trouveront aussi les principaux résultats des travaux de M. Arago sur l’aimantation du fer par les courans électriques. Si l’exposé de 1822 ne contient pas plus de détails sur cet important objet et sur le magnétisme par rotation, autre découverte de premier ordre de M. Arago, c’est que M. Ampère regardait ces deux découvertes (très bien connues du reste à cette époque) comme la propriété de son illustre confrère, et ce n’est que plus tard qu’il a dans ses théories invoqué les lois d’aimantation établies par M. Arago. Disons encore que tandis que le courant d’OErsted et d’Ampère agite faiblement une aiguille aimantée de Paris à Marseille, le courant aimantateur d’Arago crée à la même distance un vigoureux aimant, qui meut énergiquement l’aiguille d’un cadran portant des lettres, ou qui pointe des marques sur le papier, ou enfin qui imprime un message en toutes lettres comme une presse typographique.
    (*) Voyez l’Exposé des nouvelles découvertes sur le Magnétisme et l’Électricité, par MM. Ampère et Babinet, p. 236. Le litre du paragraphe est Télégraphie électro-magnétique.