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virent la déposition de Louis le Débonnaire et la dissolution de l’empire carlovingien.

L’église ! c’est le grand mot de la France durant tout le moyen âge : désormais leurs destinées sont indissolublement unies. La France et l’église seront souvent en querelle, jamais en guerre ouverte. On se chicanera sur des points de détail, jamais sur une question importante et capitale ; même alors qu’on imposera des entraves à l’église, ce sera en l’aimant et en la conservant grande, en transportant son esprit sur le trône, comme fit saint Louis. Malgré le soufflet de Philippe le Bel à la papauté, lorsque les souverains français résisteront à Rome, ce sera bien moins en leur nom et par jalousie de leur pouvoir qu’au nom de l’église de France et par jalousie de ses franchises et de ses libertés. Ces querelles n’entraîneront point, comme en Allemagne, les graves questions des droits respectifs du pouvoir temporel et du pouvoir sacerdotal ; elles n’entraîneront point, comme en Angleterre, chez le peuple une hostilité sourde qui, un jour ou l’autre, finira par se traduire en une rupture ouverte, et chez les souverains en des résolutions sanglantes, pareilles au meurtre de Thomas Beckett. Les membres de l’église seront bafoués et raillés par les jongleurs et les faiseurs de fabliaux, lorsqu’ils laisseront apercevoir quelques faiblesses humaines en désaccord avec leur caractère sacré et leurs prétentions à la sainteté, mais l’église elle-même sera respectée : inoffensives railleries d’ailleurs, dont on a souvent, je le crois, exagéré l’esprit et la portée, bien moins dangereuses pour l’église que ces interprétations politiques des doctrines chrétiennes qu’Arnaldo de Brescia a prêchées en Italie, que ces sermons mystiques avec lesquels Eckart et Tauler transportent l’âme des populations du Rhin, ou ces prédications évangéliques dans lesquelles un Wicleff attaquera l’organisation ecclésiastique. Au moyen âge, la véritable résistance à l’église en France vient de l’église même et a un caractère tout ecclésiastique. La France est plus orthodoxe que toutes les autres nations, elle est la patrie de l’orthodoxie même. Elle attaque l’église dans ses abus humains et non dans ses principes ; elle lui résiste, non pour un motif impie, politique ou philosophique, mais pour un motif religieux, parce qu’elle ne trouve pas l’église assez religieuse, assez conforme à l’idéal de perfection qu’elle s’est créé. Si la papauté a besoin de secours temporels, l’épée de la France est à son service, et grâce à elle le suprême pontife est assuré de triompher de ses ennemis ; mais si elle a besoin de réprimandes, elles ne lui manqueront pas. Le champion par excellence de l’orthodoxie, saint Bernard, passera sa vie à demander la réforme des abus et à les réformer lui-même ; plus infaillible que la papauté, lorsque l’église sera divisée