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un illustre étranger, que les dieux ont pu contempler avec joie, et qui ont pu leur donner une grande idée de leur ouvrage. Un historien contemporain remarque que sur le déclin de la féodalité, au XIVe et au XVe siècles, les bourgeois que le hasard ou la fortune élevait à la noblesse se transformaient avec une rapidité singulière ; mais plus étonnante encore est la facilité avec laquelle ces conscrits de 92, fils de cabaretiers, ménétriers, marchands de mules, se transformèrent en nobles et en rois. N’y a-t-il pas dans cette facilité de transformation quelque chose qui indique que l’aptitude chevaleresque n’est pas chez nous propre exclusivement à une classe, et qu’elle est une des aptitudes de la nation ? Nos mœurs et nos préjugés constatent ce don spécial. L’égalité que nous nous flattons d’avoir fondée n’est pas encore bien passée dans nos mœurs ; mais il est un point sur lequel elle est complète : nous ne reconnaissons ni supérieurs ni inférieurs devant une injure, et le droit de demander réparation des offenses est reconnu au plus humble individu. Ce détail de mœurs, auquel peu de personnes peut-être ont donné l’attention qu’il mérite, m’a toujours paru faire le plus grand honneur à notre nation ; il témoigne de la présence d’un élément chevaleresque dans l’esprit français, et indique que nous ne croyons pas aux âmes roturières et incapables de jouir des privilèges de la vaillance et de l’honneur,

La chevalerie, ai-je dit, est un des élémens indestructibles de l’âme française, et à travers mille transformations elle s’est continuée et se continue encore de nos jours. Où ne la retrouverait-on pas ? La politesse française, par exemple, que notre noblesse du XVIIe siècle a représentée avec un charme si puissant et si vrai qu’il nous saisit encore aujourd’hui, à deux cents ans de distance, et nous fait pardonner à cette noblesse tant de défauts trop réels, son inexcusable sécheresse de cœur, sa froide férocité, son manque absolu de pitié et de sympathie humaine, — cette politesse française est comme le dernier écho des âges chevaleresques. Les lois et les devoirs de courtoisie que les trouvères du moyen âge assignaient au chevalier sont encore, à quelques nuances près, les lois et les devoirs de ce qu’on appelle au XVIIe siècle l’honnête homme et le galant homme. La politesse française a un caractère particulier qui la distingue de la politesse des autres pays : c’est la plus impersonnelle, la plus abstraite, la plus métaphysique de toutes ; elle ne tient pas à un charme individuel, elle n’est pas inséparable de telle ou telle personne ; elle est une chose en soi, une sorte de type idéal extérieur à la société, et sur lequel cette société se conforme. On la contemple comme une œuvre d’art, on l’étudié comme un système. Elle a été pour nos pères une des occupations les plus importantes de l’existence. Une