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que cette future alliance, loin de rien enlever à un seul des peuples scandinaves, fortifiât chacun d’eux de tout le trésor de gloire et de force acquis à la famille commune. Voilà ce que demandaient les écrivains et les poètes scandinaves; ils ne se donnaient pas pour des politiques, ils ne prétendaient pas, comme on les en accusait, renverser ici un trône, modifier là une constitution, afin de rendre exécutables demain leurs beaux projets conçus d’hier. Les universités, il est vrai, ont adopté les premières et avec ardeur l’idée une fois émise, mais les jeunes gens sont devenus des hommes, ils ont pris place parmi les membres actifs et honorés de la patrie; ils ont siégé dans les assemblées délibérantes, tenu la plume ou manié la parole, après avoir au besoin, comme en Danemark, porté le mousquet, et leurs premières espérances ne les ont pas abandonnés, et les générations qui leur succédaient, quand elles ont voulu prendre à cœur, elles aussi, l’idée généreuse qui leur était offerte, n’ont pas été par eux détrompées ni détournées. Il n’est pas prudent de compter pour rien les vœux ou les inspirations de la jeunesse. La Providence n’a pas sans dessein mêlé aux sociétés humaines cet élément perpétuel de leur vitalité. La sève n’est pas tout l’arbre assurément, il y faut encore et les secrets conduits qui la contiennent et la dirigent, et les racines dans un sol bien préparé, et le feuillage dans un air pur; mais c’est par elle que se communiquent tout accroissement, condition inévitable de la vie, et finalement toute saine prospérité.

Le projet d’une alliance intellectuelle et morale entre trois nations d’une même famille n’offrait rien en vérité qui dût sembler chimérique, et il se montre aujourd’hui visiblement praticable. Non-seulement la classe éclairée, dans chacun des pays scandinaves, lit aisément les livres composés dans l’un ou l’autre idiome, et offre ainsi aux écrivains et aux poètes un plus nombreux auditoire, mais les journaux quotidiens commencent à insérer indifféremment des articles rédigés en suédois, en danois ou en norvégien (ces deux derniers langages sont d’ailleurs à peu près identiques); les enfans apprennent les trois langues dans les écoles; l’étude plus que jamais répandue de l’ancien islandais chasse les mots étrangers et aplanit les différences nationales; les théâtres s’unissent; les naturalistes, les archéologues, les médecins travaillent en commun... Rien n’empêchera sans doute que l’union littéraire, scientifique, morale, ne devienne aussi commerciale et industrielle. La diète suédoise élabore en ce moment un projet de navigation et de douanes communes entre la Norvège et la Suède. Le Danemark n’est pas éloigné de s’y associer. Je vois bien ce qu’un tel concert pouvait offrir d’incroyable aux contemporains de Charles XII, ou même à ceux de