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éprouvé la triste émotion de me sentir ébranlé dans ce que je croyais la vérité, jamais je n’ai lu dix pages du comte de Maistre sans éprouver une joie profonde de ne point penser comme lui. La langue française manque d’un adjectif qui soit l’opposé de persuasif; c’est pour lui qu’il faudrait l’inventer.

Les Considérations sur la France ont commencé sa réputation. Suivant quelques bons juges, c’est ce qu’il a fait de mieux. On dit cela volontiers du premier ouvrage d’un auteur. D’autres de ses écrits pourtant me semblent préférables; au moins dans ceux-ci défend-il une meilleure cause, car il s’y agit de religion plus encore peut-être que de politique. Dans les Considérations, sa cause est la contre-révolution, et la plaidoirie répond à la cause. L’idée générale à laquelle il s’attache est le gouvernement de la Providence. Il en voit la preuve dans les fautes, les succès, les revers de la révolution française. Plus tout cela est invraisemblable, plus il faut que Dieu s’en mêle. Conclusion : la Providence fera la contre-révolution, et elle la fera par les moyens qu’elle choisira dans sa suprême sagesse. La première assertion est gratuite; la seconde est incontestable, la première admise. Le tout est plutôt donné comme un oracle que comme une conjecture raisonnée.

Si quelqu’un trouve à redire à l’idée d’une providence divine, ce n’est pas nous. Si l’on y ajoute qu’elle gouverne le monde, que son action, tout à la fois générale et particulière, est directe sur les choses humaines, cette pensée ou plutôt cette croyance peut être pour l’âme un principe de consolation et surtout de résignation dans le malheur; elle n’est pour agir ni un stimulant, ni une règle. A côté de cette idée : tout est conduit par la Providence, se place de plein droit cette autre idée : les voies de la Providence sont impénétrables, et ces deux idées s’annulent l’une l’autre dans la pratique. Nous ignorons le but auquel Dieu nous mène, nous ignorons les moyens par lesquels il veut l’atteindre. Si donc nous ne considérions dans les événemens de la vie que les effets de sa volonté, nous perdrions la faculté aussi bien que le droit de juger ces événemens; nous pourrions tomber dans l’indifférence et dans l’inertie, c’est-à-dire dans un absolu fatalisme. Si par exemple je me persuadais, comme on le prétend quelquefois, que Dieu veut amener le bien par l’excès du mal, il se trouverait qu’en m’opposant au mal j’entrerais en lutte contre le ciel, et travailler au bien deviendrait une sorte de révolte. Heureusement une philosophie plus véritablement religieuse nous enseigne à mettre au-dessus de toute conjecture sur les vues de la Providence la notion du devoir. Nous ignorons les volontés particulières de Dieu, si cette expression est permise; mais nous connaissons parfaitement sa volonté générale par rapport à nous : il veut que nous fassions le bien. Quand je serai persuadé que les événe-