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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 9.djvu/276

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Mais ce n’est pas seulement la grandeur des événemens et l’importance des services rendus qui donnent un vif intérêt aux journaux de cette époque. Si la presse américaine eut alors une action si puissante sur les esprits, c’est qu’elle avait à sa tête tous les hommes éminens des colonies. Il ne fut possible à personne de garder la neutralité, et tous ceux que le rang, la fortune, le savoir investissaient de quelque autorité, tous ceux qui pouvaient tenir une plume durent prendre parti sous l’une ou sous l’autre bannière. Pour leur part, les journaux populaires offrirent une réunion de talens qu’on verra rarement égaler : Franklin, les deux Adams, Jefferson, Jay, Hamilton, tous ces noms appartinrent à la presse avant d’appartenir à l’histoire. Après avoir préparé la révolution par leurs écrits, ces hommes d’élite soutinrent pendant toute la durée de la guerre le courage de leurs concitoyens, et ce fut encore à eux qu’on s’adressa quand, au lendemain de la victoire, il fallut fonder un gouvernement. Ils déposèrent alors la plume pour devenir membres du congrès comme Carroll, Jay, Madison, ou ambassadeurs comme Franklin et Adams, ou ministres comme Jefferson et Hamilton, et la place qu’ils laissèrent vide dans les rangs de la presse ne fut pas remplie. Les gens instruits, bien élevés et capables de conduire les affaires, étaient peu nombreux dans les colonies : une grande partie des classes lettrées s’était prononcée contre la révolution, et la plupart des membres du barreau et du clergé avaient émigré ou étaient proscrits comme loyalistes. La jeune république n’eut donc pas trop, pour son gouvernement, pour ses chambres législatives, pour ses assemblées provinciales, de tous les hommes éminens qui avaient embrassé la cause populaire, et le recrutement de la presse devint de plus en plus malaisé.

Non-seulement les journaux tombèrent alors des mains des chefs de la révolution dans celles d’obscurs satellites ou de purs spéculateurs, mais les questions que les écrivains eurent à débattre perdirent en même temps de leur grandeur et de leur intérêt. Il ne s’agit plus désormais du salut de la nation, ni des libertés publiques, consacrées par la victoire; les luttes des partis tinrent le premier rang avec leur cortège de passions envieuses et de sourdes intrigues, et les rivalités de personnes se firent jour par des polémiques acharnées. En outre, les affaires intérieures des treize petits états qui composaient la confédération occupèrent dans les journaux une place de plus en plus considérable, et les querelles provinciales, toujours si fécondes en animosités et en scandales, achevèrent d’ôter à la presse américaine son autorité morale et sa dignité première. Aux argumentations savantes d’Hamilton, aux éloquentes philippiques d’Adams succédèrent des diatribes grossières, où le raisonnement