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nels, il ne put obtenir d’eux aucun sacrifice en faveur de l’Aurora.

Les journaux de la Nouvelle-Angleterre n’apportaient pas dans leur polémique plus de retenue et de décence que ceux de la Virginie ou de la Pensylvanie. Un document officiel en fait foi. Elbridge Gerry, un des signataires de la déclaration d’indépendance et l’un des chefs du parti démocratique, avait été élu gouverneur de l’état de Massachusetts. Quoique son parti eût adopté comme un des points de son programme la liberté illimitée de la presse, Gerry voulut savoir à quoi s’en tenir sur les plaintes que beaucoup de bons esprits faisaient entendre au sujet de la licence des journaux, et il demanda un rapport au procureur-général et à l’avocat-général du Massachusetts. Ce rapport lui fut présenté dans les premiers jours de février 1812 ; il embrassait les journaux publiés à Boston depuis le 1er juin 1811. Il faut se rappeler qu’à cette époque les feuilles quotidiennes étaient l’exception : quelques-unes paraissaient trois fois, et le plus grand nombre une fois seulement par semaine. Les deux magistrats commençaient par faire observer qu’ils n’avaient pu se procurer de collections complètes des journaux soumis à leur examen ; ils ajoutaient qu’ils n’avaient pas tenu compte des articles calomnieux dirigés contre des gouvernemens autres que celui des États-Unis ou contre des étrangers de distinction, ni des imputations diffamatoires échangées de journaliste à journaliste. Malgré toutes ces défalcations, il résultait du rapport que dans cette courte période il avait paru dans les journaux de Boston 221 articles susceptibles de donner lieu à des procès en diffamation : à savoir, dans la Verge (the Scourge) 53, dans la Sentinelle 51, dans la Gazette de Boston 38, dans le Répertoire 34, dans le Palladium 18, dans le Patriote 9, dans la Chronique 8, dans le Messager 1, dans le Yankee 9. Le rapport donnait la date de tous les articles qu’il divisait en deux classes : les articles dont les auteurs auraient pu, en cas de poursuites, demander à faire la preuve, et ceux à propos desquels la preuve des faits n’était pas admissible. Cette statistique paraîtra sans doute une marque décisive de l’état d’abaissement dans lequel était tombée la presse américaine.

Toute législation eût été impuissante à arrêter un mal qui avait fait de tels progrès ; l’opinion publique d’ailleurs ne permettait pas qu’on essayât d’un semblable remède. Le président Adams, en butte aux attaques les plus odieuses pour être demeuré fidèle à la politique de Washington, avait bien obtenu du congrès une loi qui mettait au rang des délits les imputations calomnieuses contre les fonctionnaires publics, et qui autorisait le gouvernement à instituer des poursuites ; mais le seul effet de cette loi avait été d’attirer sur ceux qui l’avaient présentée l’animadversion de toute la presse et de détermi-