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ont débuté dans la presse américaine, ils n’ont jamais fait que la traverser sans s’y fixer. C’est ainsi qu’Henry Wheaton, après avoir fait de 1812 à 1815 la fortune du National Advocate de New-York et avoir conquis à ce journal une grande influence pendant la guerre contre l’Angleterre, l’abandonna au bout de trois ans pour entrer dans la diplomatie, et n’écrivit plus que dans les revues. Vers la même époque, James Hall, qui, après avoir été soldat, est devenu un jurisconsulte éminent, fondait un journal à Shawneetown, dans l’Illinois: mais au bout de quelques années il déposait la plume pour entrer dans la politique, et il renonçait pour toujours à la presse.

La presse n’était donc point une carrière ; elle n’aurait pu en devenir une que s’il était né aux États-Unis comme en Angleterre de grands journaux s’adressant à de nombreux lecteurs, disposant de capitaux considérables et capables par conséquent de rallier autour d’eux et de retenir les hommes de lettres. C’est ainsi que le Times, le Chronicle, le Post, ont été autant de foyers littéraires autour desquels se sont toujours groupés des hommes d’une incontestable valeur. Il n’en pouvait être de même en Amérique à cause de la division du pays en un grand nombre de petits états. Quelle que soit l’importance des questions de politique générale, celles-ci pâlissent toujours devant les questions d’intérêt local, qui s’adressent aux besoins ou aux passions de tous les jours. Les dissensions intérieures de l’état, les rivalités personnelles, les débats de l’assemblée, les élections locales, voilà quelles étaient partout les premières et constantes préoccupations du citoyen américain. Les lecteurs recherchaient donc de préférence les journaux de leur état, et quelquefois même seulement les journaux de leur comté. Il en résultait que les journaux, même les mieux conduits, parqués dans un cercle excessivement restreint, ne pouvaient étendre leur clientèle ni acquérir, par l’accroissement de leur publicité, les moyens de se développer et de se créer une influence sérieuse. Rien n’était plus aisé que de fonder un journal ; point de nécessité de se faire autoriser, point de timbre, point de droit sur le papier, point d’impôt d’aucune sorte : il suffisait d’avoir à sa disposition, par argent ou par crédit, du papier et une imprimerie. Rien aussi n’était plus difficile que de donner au journal ainsi fondé un peu de notoriété et d’influence et une existence durable, parce qu’à chaque pas, dans la ville la plus proche et quelquefois dans le village voisin, il rencontrait des concurrens nés dans les mêmes conditions. Créé par la fantaisie et l’intérêt d’un individu, le journal demeurait nécessairement une œuvre toute personnelle ; sa carrière reproduisait toutes les vicissitudes de la fortune du fondateur. Que celui-ci vînt à s’enrichir ou à se fatiguer d’écrire, qu’il acceptât une place ou qu’il