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directeur condamnait à une disparition prochaine. Un homme de mérite, le colonel Gibbs, rencontrant M. Silliman, professeur de chimie, de minéralogie et de géologie, au collège de Yale, à New-Haven, lui témoigna qu’il y allait de l’honneur des savans américains de ne pas laisser la science sans organe aux États-Unis. M. Silliman fut aisément convaincu, et, après s’être assuré le concours d’un certain nombre d’écrivains, il fit paraître en juillet 1818 le premier numéro de son journal. En assumant cette tâche, il avait, dit-il, le sentiment que l’œuvre qu’il entreprenait absorberait sa vie entière, et une expérience de trente-cinq années lui a fait voir qu’il ne s’était pas trompé. Toutes les difficultés se réunirent en effet pour entraver son entreprise. Au bout d’un an, le Journal n’avait encore que 350 abonnés, et comme les recettes ne couvraient pas les dépenses, les éditeurs avec qui on avait traité ne voulurent pas continuer. Il fallut que M. Silliman leur garantît le remboursement de leurs frais, et empruntât en son nom personnel à une banque la somme nécessaire pour servir de fonds de roulement. Après le dixième volume, en février 1826, les éditeurs mirent M. Silliman en demeure de discontinuer la publication ou d’en prendre toutes les charges à son compte. Les frais avaient absorbé tous les produits du recueil, qui s’était agrandi, et de nouveaux fonds étaient nécessaires. Confiant dans son œuvre et convaincu de la nécessité de la persévérance, M. Silliman racheta sur sa fortune personnelle les exemplaires disponibles, remboursa les éditeurs, et se chargea désormais d’administrer aussi bien que de rédiger son recueil. Depuis lors, le Journal des Sciences et des Arts a continué sans interruption sa publication; mais malgré le soin merveilleux avec lequel il est fait, malgré sa grande et légitime réputation, il a été plus profitable à la science qu’à son propriétaire. Pendant bien des années, il a été complètement improductif, et maintenant encore c’est à peine s’il couvre ses frais matériels. On doit ajouter, il est vrai, à l’honneur de M. Silliman et de son fils, qu’il s’est associé en 1838, que le résultat aurait pu être tout autre, si le moindre calcul d’intérêt personnel les avait dirigés. Non-seulement les gravures et les planches qui accompagnent chaque livraison sont en quelque sorte des œuvres d’art; mais ils ont accepté et ils continuent des échanges onéreux avec presque toutes les publications scientifiques du monde, et jamais, aux États-Unis, les fondateurs d’un collège, d’une bibliothèque ou d’une académie, ne se sont adressés à eux sans recevoir gratuitement la collection complète de leur publication. Ce sont là des faits auxquels on ne saurait donner trop de retentissement, parce qu’ils honorent l’humanité. Il est beau devoir, au fond d’une université, dans une petite ville des États-Unis, deux hommes consacrer