Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 9.djvu/358

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et non sans justifier quelque peu les exclusifs dédains du philosophe grec. On en était alors au charme des premiers ouvrages, et ce charme était grand. Seulement, jusque dans ces premiers tableaux, à travers le mélange des qualités littéraires les plus brillantes, il est facile aujourd’hui de distinguer le cri de la nature révoltée, la déclamation prête à déborder. On ne peut surtout s’empêcher de reconnaître une secrète et menaçante parenté entre cette inspiration et les théories sociales de l’époque. En un mot, à côté du génie heureux il y avait une imagination mobile et inassouvie, capable de subir toutes les influences et de succomber à tous les pièges, si même elle n’allait au-devant des plus grossiers, parce que ceux-ci flattaient mieux ses instincts.

Cette lutte intime entre les bons et les mauvais élémens au sein d’une organisation rare à travers tout, c’est l’histoire tout entière de George Sand. Dans cette nature, il y a comme deux êtres qui se combattent. Il y a un poète qui n’a qu’à rester lui-même pour raconter, analyser ou peindre supérieurement, et qui écrit alors les scènes charmantes de Valentine ou André, certaines pages des Lettres d’un Voyageur ou Mauprat, et il y a un esprit à qui la vérité et le naturel ne suffisent pas, qui semble altéré de chimères et de romanesque. — Eh quoi! dira-t-on, le romanesque n’est-il point à sa place dans le roman? Ceci a besoin d’une explication : il y a en effet un genre de romanesque qui est l’œuvre délicate et juste de l’imagination et qui est l’essence du roman dans tous les temps. C’est cette partie idéale que l’art ajoute en quelque sorte à la réalité humaine en la recomposant, en la transfigurant. C’est ce monde d’êtres fictifs que la pensée crée, qui n’ont jamais vécu, mais qui gardent le caractère de la vérité morale par les idées et par les émotions qu’ils expriment. Les aventures sont fabuleuses, les sentimens sont puisés au plus profond de l’âme. C’est ce qu’on pourrait appeler le romanesque vrai, par opposition à un romanesque d’une autre nature qui vit d’idées fausses, de faux sentimens et de fausses exaltations, qui substitue le système et la conception chimérique à l’humanité réelle ou idéalisée. Ici tout prend une couleur factice, tout disparaît dans un travestissement violent que l’art le plus savant ne peut parvenir tout au plus qu’à pallier.

Le goût du romanesque faux, c’est la maladie secrète et envahissante chez l’auteur d’Indiana. Mme Sand raconte dans ses mémoires que, jeune encore, elle s’était créé un personnage idéal qui la suivait partout et dont elle faisait le héros d’un roman perpétuel; elle lui avait donné le nom de Corambé. L’invention n’est point absolument neuve : elle rappelle presque, quoique n’ayant ni la même puissance, ni la même poésie, cette sylphide dans laquelle Chateaubriand résumait tous les rêves, toutes les ardeurs de sa jeunesse.